Contrariée par des évènements sanitaires sur lesquels nous ne reviendrons pas tant ils continuent d’être aujourd’hui encore sur toutes les lèvres (masquées, ohé ohé), la saison culturelle Africa 2020 n’a pas pu se tenir en 2020. Qu’à cela ne tienne : ce n’était que partie remise et c’est donc en 2021 que sa riche et ambitieuse programmation espère enfin trouver un terrain propice pour se déployer.
C’est dans ce cadre qu’à Bordeaux s’installe, jusqu’à la fin août, Memoria : récits d’une autre histoire. Sous l’arche brutaliste de la MECA (qui accueille le FRAC Nouvelle-Aquitaine), quatorze artistes, quatorze femmes, quatorze regards y offrent une mosaïque ultra-contemporaine de la création africaine et de ses diasporas. Pas de guéguerre sur la forme : sculptures, installations, photo, vidéo, peinture, arts plastiques, toutes les disciplines seront commensales à cette grande tablée façon The Dinner Party, repeinte en noir et ocre.
Le parcours commence avec, en exergue, une phrase de Nina Simone : « Le devoir d’un artiste, en ce qui me concerne, est de refléter l’époque. […] Et à ce moment crucial de votre vie, où tout est si désespéré, où chaque jour est une question de survie, je ne pense pas que vous puissiez vous empêcher d’être impliqué. Les jeunes, noirs et blancs, le savent. »
Après cette arche de mots frappés au coin de l’actualité (même s’ils ont été dits dans les années 70), Mémoria : récits d’une autre histoire cheminera de créations en créations, venues du Zimbabwe, d’Algérie ou du Ghana, de mille autres points de ce continent mésestimé jusque sur les cartes géographiques infoutues de transcrire sa grandeur à l’échelle.
Divisée en trois segments (« De l’intime à l’universel », « Quand la mémoire fait œuvre politique » et « Fabulations, fictions et autres imaginaires »), Mémoria : récits d’une autre histoire sera l’occasion d’admirer, de s’imprégner, de dialoguer avec les œuvres engagées, toutes de gouaches et de collages, de la Nigériane Otobong Nkanga, comme avec les installations multimédias d’Ndidi Dike, les enchevêtrements sculptés de l’artiste ghanéenne Na Chainkua Reindorf, ou encore l’afrofuturisme de Selly Raby Kane, imaginant une fantastique métropole digne de Nnedi Okorafor, à explorer en VR.
Il y aura aussi l’impressionnante servante bleue de la Sud-Africaine Mary Sibande, témoignage et commentaire vibrant sur les décennies d’apartheid, les performances d’Enam Gbewonyo (visibles pour la première fois en France) qui utilise le bas nylon comme symbole de l’invisibilisation des femmes noires, ou l’Algérienne Dalila Dalléas Bouzar, qui peint les portraits d’anciennes victimes de la guerre d’Algérie, pour les magnifier en résistantes d’un nouveau mythe fondateur.
On ne pourra bien sûr pas tout énumérer (et puis, on vous laisse un part de surprise pour votre visite, fût-elle virtuelle) mais n’oublions pas de citer l’ensemble des artistes conviées : la Franco-Gabonaise Myriam Myinidou, la Zimbabwéenne Georgina Maxim, la Namibienne Tuli Mekondjo, la Franco-Marocaine Bouchra Khalili, la Congolaise Gosette Lubondo, la Camerounaise Josefa Ntjam et la Kényane Wangechi Mutu.
Autant d’expériences, de questionnements, de témoignages faits oeuvres qui concourent à l’élaboration polyphonique d’un contre-récit, mettant à mal les hiérarchies ethnocentrées, les non-dits de l’histoire officielle. Une « autre histoire », véritablement, comme l’indique le titre de cette exposition capable d’éclairer tout autant derrière que devant, d’en remontrer à la mémoire comme d’inspirer les perspectives futures.
Parce que, n’en déplaise à quelques mauvaises huiles gouvernementales, l’intersectionnalité ou le post-colonialisme ne sont pas des gros mots.
PS : Le FRAC a également mis sur pied « Une œuvre au bout du fil » : des échanges gratuits et personnalisés avec un médiateur pour discuter d’une œuvre présentée lors de Memoria : récits d’une autres histoire. Pour participer à ce Allô-le-FRAC, ce Dial-An-Expo, envoyez un mail avec vos coordonnées et vos disponibilités à reservation@frac-meca.fr