L’avant-garde pop : Bowie l’Empereur.
David Bowie est mort aujourd’hui – il y a quelques temps, Jean Rouzaud rendait hommage à son avant-garde.
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Pendant les années 60, alors que tous les Anglais réussissaient à faire des groupes à succès (les Yardbirds, Kinks, Who, Beatles, Stones, Small Faces, Pretty Things.. et des dizaines d’autres), seul Bowie se plantait. Le David Jones de l’époque tente tous les genres (avec les King Bees, puis the Manish Boys, puis the Lower Third, puis The Buzz..) et tous ces essais de groupes, dans la palette « fashion-arty », ratent.
Il faut dire qu’à Londres les modes et genres changent tous les six mois : Skiffle, Mods, R&B, Folk, Vaudeville, Psychedelic, Prog, Glam.. des années explosives où les groupes valsent à mesure que la musique anglaise envahit le monde au pas de charge.
Bowie se perd dans des expériences trop stylées, trop maniérées et raffinées pour le grand public, mais chacun de ces touches va servir dans son œuvre à venir (même de faire le clown blanc avec le mime Lindsay Kemp !).
C’est finalement les Stooges avec Iggy Pop, et le Velvet qui vont servir de piliers à sa construction stylistique. Tony Visconti, arrivé de Brooklyn, va être l’arrangeur de ce début d’édifice complexe : car les esthétiques de Bowie se combinent en un hybride inconnu.
Deux noms de groupe, Turquoise et Feathers (plumes), donnent le ton de spectacles poétiques où Cabaret, Folk, bouddhisme et mime se télescopent ! Tout un programme dans le tête chercheuse et ambitieuse du Bowie naissant de 1967.
Il commence à vraiment intriguer en 1970, habillé en jeune fille romantique sur la pochette de The man who sold the world.
Mais c’est le Glamour Rock qui va finalement l’emporter, avec trois albums devenus historiques : Hunky Dory, Ziggy Stardust et Aladdin Sane.
Bowie a trouvé son épanouissement : un personnage par disque, une ambiance, une tenue, comme de petits opéras où il peut satisfaire toutes ses facettes, littéraires, poétiques, théâtrales…
Et lui, la Rock star incarnant le héros, le Peter Pan, le martien et ses acolytes (Spider from Mars), apportant aux terriens images, sons, et fascination.
Evidemment, les purs et durs ont crié au déguisement, au mauvais goût, au music hall pour garçons coiffeurs quand Aladdin Sane – en Platform boots rouges, sur-maquillé, serré dans une combinaison pailletée, les cheveux orange dressés dessus, longs derrière, est apparu, aussi scandaleux que ses modèles, comme Jean Genie (Jean Genet), ou l’iguane peroxydé des Stooges (Iggy Pop).
Deux trois ans plus tard, les New York Dolls s’habilleront pareil, en filles Glam, mais trash ; la ligne droite vers le Punk. Mais encore aujourd’hui personne ne voit cette filiation directs du Glam au Punk, apparemment opposés. Bowie visionnaire ?
Puis ce sera les tournées et la vie américaine, le succès planétaire du showman Bowie jusqu’aux excès typiques : dope, argent, occultisme, magie, mégalomanie.. Même ses détracteurs reconnaissent ce parcours initiatique assumé jusqu’au bout par celui qui voulait tout contrôler.
Il fuit les démons américains avec Iggy (dans le même état) dans ses bagages. Retour vers l’Europe, Berlin, le Punk naissant et de nouvelles inspirations … C’est déjà un premier rétablissement spectaculaire, là ou toutes les stars sixties ont laissé leur peau : Marc Bolan son compagnon de l’aventure Glam, Jim Morisson théâtral comme lui, Jimi Hendrix un autre extra terrestre, Janis Joplin etc …
En prime il a laissé derrière lui deux productions historiques : « Raw Power » des Stooges et « Transformer » pour Lou Reed.
Puis il va produire deux autres merveilles pour Iggy : The idiot et Lust for life, albums-clés d’une inspiration retrouvée. Etape magnifique : Iggy sombre, électrique, noisy, mais aussi éclatant et crooner.
Et pour lui-même la trilogie, culte pour beaucoup : Station to station, Low et Heroes. Avec ces trois albums-manifestes, il va influencer durablement le Rock, la Pop, le Punk puis la New Wave .
Le pygmalion de studio écrit, joue, orchestre, chante, entouré de ses fidèles, des meilleurs pour chaque genre. Il prend chacun pour ses apports, comme des couches d’influences, des portions d’orchestres.
A la fin des années 70 Bowie est devenu un maître difficilement contestable. S’il a encore des détracteurs au nom des purs Rockers qui ne changent jamais et rejouent inlassablement les classiques de leur répertoire, façon Stones, la secousse Punk – qui a renversé bien des idoles Pop – l’a assis sur un trône de marbre.
Son goût, sa maîtrise, son avant-gardisme, son culot à mélanger les genres, sa culture et ses prémonitions ont mis ses ambitions en action et en résultats incontestables. Sa musique est très travaillée, montée en neige, presque baroque, mais elle ne perd jamais la ligne Rock .
Malgré son côté indestructible, le « mince duc blanc » (Thin White Duke) et tous ses avatars vont encore souffrir, se fourvoyer un peu dans ces années 80 flamboyantes, où son aura de gourou pâlit.
Reggae, Disco, Punk, New Wave, World, Rap le font rebondir sur les cordes du ring, mais il n’est pas KO. En banane blond platine et costume fifties bleu électrique, il fera encore danser ses fans, entre Rockabilly et Dance !
Fin des années 80 : Son « Glass Spider Tour », méconnu en France, est un supra show ou Bowie a tout mis : Cyberpunk, sportswear, résille, cuir, hommes araignées, et lui en papillon aux ailes bleutées .. grand spectacle, le créateur marque le pas et se perd un peu dans les délires « overdressed », rendus possibles par la New Wave. Mais Michael Jackson reprendra l’idée de ce type de show total de celui qu’il admire.. Bowie essaime encore, même dans ses exagérations .
D’ailleurs très vite, il se reprend, inverse la vapeur avec un pur groupe de Rock : Tin Machine, puis essaie d’intégrer de rythmes speedés de Jungle et Drum and Bass, toujours encastrés dans des riffs Rocks ! Bowie et sa boussole.
Le livre de Mathieu Thibault analyse chaque disque, chaque époque et surtout chaque morceau ( ! ). Il détaille les instruments, effets, références et aussi bien sûr les invités, les piliers sur lesquels s’appuie Bowie : de Carlos Alomar à Eno, de Tony Visconti à Peter Frampton, et bien d’autres .
Des dizaines de virtuoses ont travaillé avec lui. Même Lennon et Jagger, en plus de Iggy et Lou.
Je n’en finirai pas d’étaler le spectre des références et citations de cette « odyssée de l’espace » du petit Davy Jones qui ramait pendant les swinging sixties, mais engrangeait des idées-force, en pleine explosion des sons pop-rock-blues, emporté par les montagnes russes des genres et des plongées psychédéliques ou décadentes.
Bowie n’a jamais oublié les leçons, toutes les leçons, et les époques dont il est redevable. Il me semble qu’on ne peut que lui être reconnaissant pour tous ces morceaux électriques et vibrants qui ont marqué des générations et restent un formidable catalogue d’inspiration.
David Bowie, l’avant-garde pop, par Matthieu Thibault.
Editions Le Mot et le Reste, 400 pages, 25 Euros .