Le photographe Patrick Willocq met en scène le vivre ensemble à Saint-Martory.
« Initialement, on se retrouvait face à deux communautés qui n’avaient pas demandé à vivre ensemble, mais qui se retrouvèrent contraints, par la force des choses, de le faire. Et au final, un an après, tout se passe parfaitement ».
Patrick Willocq, photographe humaniste et philanthrope à qui l’on devait déjà des séries sur les migrations syriennes au Liban, et burundaises en Tanzanie, s’est intéressé cette fois à une migration vécue de plus près, celle des migrants forcés de rejoindre la France au cours des deniers mois. Certains d’entre eux (au total, une cinquantaine de demandeurs d’asile), déplacés notamment après la fermeture de la Jungle de Calais, ont dû joindre Saint-Martory, petite commune occitane de 1 000 habitants, où malgré la réticence initiale des locaux (la population du village est majoritairement retraitée), l’intégration est telle qu’un an après, on ne différencie si frontalement le migrant de l’autochtone.
« Lorsqu’ils ont appris l’arrivée de migrants dans leur petite ville, beaucoup ont eu peur », nous dit Patrick Willocq, joint par téléphone. « Les stéréotypes véhiculés par les médias ont entrainé quelques amalgames, ce n’était pas évident pour eux : ils ont vraiment cru que cette arrivée allait être un véritable cataclysme. Pour les demandeurs d’asile, le sentiment était différent : ce déplacement était une bonne nouvelle nouvelle, puisqu’il se retrouvait désormais pris en charge par l’État, avec l’assurance d’avoir un toit et une paix relative ». Deux différentes perspectives, pour au final, des peurs et des angoisses infondées.
Mon histoire, c’est l’histoire d’un espoir
C’est en tout cas le sens de sa série « ethno-photographique » Mon histoire, c’est l’histoire d’un espoir, qui retrace cette rencontre de ces deux communautés que rien n’aurait dû rassembler, des communautés mises en scène au sein de tableaux bourrés d’images et de symboles plus ou moins visibles, et confrontées à des scènes évoquant le souvenir pour certains, et le fantasme pour d’autres. À titre d’exemple, symptomatique : ce tableau photographique quasiment semblable aux vignettes terminant chacun des albums d’Astérix (la fameuse scène du banquet), avec la France autochtone attablé autour de charcut et vinasse, et migrants arrivant par la voix des airs (l’un est suspendu à son parachute), des mers (une femme porte autour du cou un gilet de sauvetage) ou des terres.
« Il existe des Saint-Martory partout »
« La photo mise en scène permet d’aller plus loin, et de raconter beaucoup plus », nous dit Patrick Willocq, joint par téléphone. « On peut raconter avec une seule image une multitude d’histoires, ce qui n’est pas possible avec la photo purement ‘documentaire’, que l’on doit forcément multiplier pour pouvoir raconter la même chose (qu’une mise en scène, ndlr). La photo symboliste permet également d’interpeller le regard, et davantage à mon sens que le reste. Une photo de migrants entassés à bord d’un zodiac ne marche plus, l’image est banalisée, de la même manière que l’on ne voit plus les images, pourtant dégoutantes, que l’on nous balance sur les paquets de cigarettes pour nous prévenir du danger qu’elles représentent. »
« C’est l’histoire humaine de gens, poursuit-il, miroir de la France d’aujourd’hui, que j’ai voulu mettre en scène : celle d’hommes, de femmes et d’enfants, français et étrangers, amenés à cohabiter ensemble sans l’avoir demandé. L’idée était que français ‘pour’ et ‘anti’ et demandeurs d’asile, tous mués en comédiens, créent ensemble une œuvre photographique qui témoigne de leur histoire et qui renvoie à l’universalisme de leurs conditions. Car il existe des « Saint-Martory » partout en France, en Europe et dans le monde. »
Visuels : (c) Patrick Willocq