Découverte majeure d’un cinéaste philippin travaillant autant les genres les plus variés qu’une rogne envers le régime de Marcos.
La France a beau être connue comme l’un des pays les plus cinéphiles au monde, il subsiste encore pas mal de trous dans ce trait de caractère. Ainsi du cinéma philippin, peu ou, comme beaucoup de cinématographies, résumé à un seul nom, souvent arbre qui cache de touffues forêts. Jusque-là, cette production vue d’ici se rétrécissait à Lino Brocka, cinéaste émérite si l’en est. Dans les plis des génériques de certains de ses films, figurait le nom de Mike De Leon, en tant que producteur ou directeur de la photo. Rien qui ne laissait deviner une figure clé de cette industrie, que ce soit en étant l’héritier des studios LVN, l’un des piliers du cinéma populaire philippin depuis les années 40, ou plus encore par un corpus de films sidérant par sa conjugaison de multiples genres, du mélo à la comédie musicale, et de charge politique s’attaquant frontalement au régime dictatorial de Ferdinand Marcos. Plus le cinéma de Leon était ouvert à toutes les inspirations, plus il pointait du doigt l’enfermement social de son pays. Plus il regardait vers l’extérieur, en allant renifler chez Hitchcock, Kubrick ou Antonioni, parfois littéralement cités dans ces films, plus la question de la liberté de ton ou d’opinion se faisait pressante au travers de chroniques cinglantes de la vie de la petite bourgeoisie locale.
On peut donc faire des films en Tagalog, la langue philippine, sans que ça fasse catalogue de clichés exotiques ?
Ça saute aux yeux avec l’apparition d’un coffret blu-ray regroupant huit de ses films, dont deux ressortent aussi en salles. Kisapmata et Batch 81 suffisent à confirmer la force d’un cinéma aussi commercial que transgressif. Le premier, récit de l’emprise d’un père policier sur sa fille, sait tailler des croupières aux univers d’un Chabrol ou d’un Fassbinder en transformant un fait divers en peinture au vitriol, via l’allégorie claire visant Marcos en prétendu père du peuple, surveillant ses moindres mouvements. L’autre passe par les rituels malsains des fraternités étudiantes de campus pour désosser les mécanismes d’un embrigadement fascisant, avec la même rogne que le Paul Verhoeven des années 80. Deux exemples forts, mais à peine représentatifs du talent de De Leon, tout autant capable, entre autres, de réinventer le mélo à la Douglas Sirk ou tendre vers la comédie loufoque, preuve à l’appui avec Le Paradis ne se partage pas ou Kakabakaba Ka Ba ?, autres perles d’un coffret qui pourrait bien devenir aussi indispensable qu’inépuisable dans sa densité de cinéma comme de lecture socio-politique de l’identité philippine.
Kisapmata & Batch 81 en salles
Coffret « Mike De Leon en 8 films ». Carlotta.