« Enregistrer sous LSD est une expérience passionnante »
L’année dernière, Alexander Brettin nous ouvrait les portes de son Mild High Club avec la sortie de Timeline. Placé sous l’égide de Stones Throw, le psychédélisme et la pop en étaient les masters of ceremony. Sorti au mois de septembre et reprenant une pochette de David Peel, le musicien californien redonnait un éventail de couleur insoupçonné à notre été indien, nous offrant un nouveau voyage en pleine rentrée. On a disséqué avec lui la timeline de ce premier disque, qui figure dans la short list des meilleures galettes de l’année.
Choisir comme nom Mild High Club (Le Mile High Club désigne les gens qui ont déjà fait du sexe dans un avion en plein vol), c’était une manière de nous dire qu’on va s’envoyer en l’air avec toi ?
Alexander Brettin : J’aimais bien le jeu de mots en effet, mais ce n’est pas la seule chose que je voulais évoquer. Avant de monter ce projet, j’avais l’habitude de travailler seul, que ce soit pour composer ou pour enregistrer. Avec Mild High Club, je voulais faire participer mes amis, comme Sacha de Silk Rhodes, qu’ils m’apportent leurs énergies mais avec une dimension collective que je puisse maitrisé, comme avait pu faire Steely Dan par exemple. J’aime bien cette idée de changer de crew souvent, de ne pas se répéter avec les mêmes personnes.
Il y a aussi un message à travers le nom à l’album, Timeline ?
A.B. : Oui, ma génération est probablement la dernière à ne pas avoir mis son adolescence en ligne. Tous les ados vivront désormais avec les réseaux sociaux et dans une certaine mesure, ils ne sauront pas ce que c’est de vivre sans. A travers ce titre, je voulais exprimer l’idée que pour certaines personnes, cette Timeline représente le livre de leur vie, qu’ils seront jugés en fonction de ce qu’y est écrit. Alors que selon moi, la vie est bien plus riche, plus complexe que ce que l’on peut afficher sur notre facebook ou autre et qu’elle ne peut être réduite à ce genre de chose.
Tu as enregistré quelques chansons de cet album avec un 4 pistes, c’était pour avoir ce son un peu sale et psyché ?
A.B. : Au départ, c’était plus par curiosité. Un ami possédait un 4 pistes et cela m’intriguait énormément. Dès que j’ai commencé à l’utiliser, un flot de nouvelles idées m’a envahi. Il y avait aussi ce côté pratique, par exemple j’ai enregistré la chanson éponyme de l’album en me réveillant à 2h du matin. Je voulais conserver l’idée quand j’en avais à ce moment là et ne pas perdre de temps avec un ordinateur. Il y avait ce côté humain que je ne voulais pas perdre, ce qui peut arriver quand on est en studio où la technique est omniprésente et où les possibilités de triturer le son sont plus grandes. J’étais aussi assez excité par le challenge d’utiliser ce genre de machines, tu te dois d’être plus patient car si tu te rates sur une piste, le processus est bien plus long pour la refaire.
Tu appréhendes l’enregistrement d’une autre manière. Mais j’ai pris énormément de plaisir, cela m’a rappelé mes jeunes années quand j’en possédais un.
Tu veux continuer dans cette voix-là ou c’était un choix ponctuel ?
A.B. : Mon prochain projet devrait être enregistré de manière plus classique par contre, en studio avec tout le toutim. Je ne suis pas forcément attaché à ce son un peu sale de Timeline.
La dope est un sujet récurrent à travers cet album très psychédélique, c’est quelque chose qui va de paire avec la musique selon toi ?
A.B. : Ce n’est pas quelque chose de forcément lié mais j’ai passé une bonne partie de ma jeunesse à expérimenter pas mal de produits, essayer de voir la réalité différemment, de l’altérer. Le LSD est comme un bouton « reset », cela te permet presque de t’extraire de ton corps et de voir certaines choses avec une perspective différente. En tant qu’expérience, je trouve cela très intéressant.
Tu as déjà enregistré une chanson sous LSD ?
A.B. : Oui, la dernière chanson de l’album par exemple. Sur le plan de l’enregistrement, c’était une expérience passionnante.
En général, le résultat est plutôt convaincant sur le moment mais deux jours après, on est plus circonspect non ?
A.B. : En effet, c’est une conséquence possible. Je ne sais pas si c’est l’habitude de m’enregistrer ou autre mais pour « The Chat », cela ne m’a pas dérangé plus que ça.
Tu es signé chez Stones Throw, tu as ressenti une pression particulière pour ce premier album ?
A.B. : Oui mais c’est normal quand tu signes sur un label aussi légendaire à mon avis. « Jay Dilla saved my life » n’est pas qu’un slogan pour moi. Ma jeunesse a été bercée par ce crew, que ce soit Madlib ou Egon avec ses rééditions pour Now Again. Je n’aurai jamais imaginé travailler avec ces gens-là, c’est quelque chose de très fort pour moi. Mais cela n’a pas influé sur ma manière de travailler, je suis resté moi-même. Je me sentais à l’aise car je savais qu’inconsciemment ce label m’avait influencé dans ma manière de voir la musique et que ça rejaillirait à travers ma musique. Par exemple la boucle du beat de You & Me a été faite avant que je signe. Bien qu’il était puissant mais imparfaitement coupé, je sentais qu’ils allaient l’aimer. Cet infime décalage donne une certaine humanité au morceau, à l’image de la vie qui n’est jamais parfaite. C’est ce que Stones Throw m’a appris.
En parlant de tes influences, tu es un grand fan de George Harrison, c’est plutôt le duo Lennon/McCartney que les musiciens aiment citer …
A.B. : Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band a été mon premier disque, mes parents me l’avaient acheté lorsque j’étais tout petit. Et avec les années, je l’ai totalement disséqué. Sa manière d’utiliser une douze cordes ou ses solos à travers l’album m’ont vraiment marqué. Le son que tu obtiens quand tu plies les deux cordes (bend)… Il est clairement une des influences majeures de cet album mais je pourrais citer Pat Martino et pour son « Desperado » où son jeu sur la guitare douze cordes est aussi une merveille aussi.
Bien que leur son soient très éloignés du tien, les musiciens de chez KPM (Studios de Library music, funk/jazz) ne te laissent pas non plus insensible ?
A.B. : Oui, c’est vrai que ce n’est pas forcément le même univers sonore mais j’admire la virtuosité ou le groove d’un Alan Hawkshaw ou d’un Brian Bennett et ce génie pour conférer à la musique une dimensions visuelle. Ils ont donne une identité sonore à tellement de films, documentaires ou autre.
Il a aussi ce côté cinématique quand tu écris tes chansons, c’est une histoire avant d’être une musique ?
A.B. : Pas forcément, Windowpane n’est juste qu’une blague où le LSD me procure des révélations toutes les dix minutes, ce qui n’en ferait pas forcément une bonne histoire.
Tu viens de Chicago mais tu t’es installé à L.A., c’était pour être plus proche de ton label ou pour cette scène incroyable ?
A.B. : Vivre à L.A. quand tu es musicien est une bénédiction. C’est un vivier incroyable de talents venant d’un peu partout. Je m’enrichis énormément à leur contact. Chicago est plus un aggloméré de petits groupes très soudés et qui se connaissent très bien, donc un milieu un peu plus fermé. Ici tout est tellement grand que les nouvelles rencontres ou expériences sont bien plus fréquentes.
Tu as évoqué ton prochain album, tu peux nous en dire un peu plus ?
A.B. : Il sera bien plus loungy et sophistiqué, bref plus pop et un peu plus jazzy. On peut le voir comme le fils illégitime de Steely Dan et les Beach Boys. Je pense m’être aventuré vers des contrées un peu plus éloignées de Timeline, qui m’a permis d‘expérimenter énormément de choses. Il devrait s’articuler en deux parties, la première partie qui lorgne vers une pop assez propret alors que la deuxième se caractérise par une déconstruction de la première, avec des titres plus explosifs et un son plus noisy / jazzy avec des batteries sauvages à la Art Blakey. Ce premier LP m’a donné une certaine, je vais essayer maintenant d’aller un peu plus loin, avec l’ambition de faire un Pet Sounds ou un Breakfest In America, des albums qui se sont affranchis du temps.