La chronique de Jean Rouzaud
Une fois de plus une exposition (Musée Marmottan Monet) et un livre (éditions Hazan) se posent la question du peintre hollandais Piet Mondrian (1872-1944) : était-il abstrait ou, malgré les apparences, figuratif ???
« L’abstraction » est un mot pour aider les critiques qui courent après des cases ou enfermer l’Art. Ils veulent ranger l’in-rangeable…
Pour comprendre quelque chose, il faut toujours remonter aux sources : les pionniers d’une idée, d’une nouveauté, ne sont pas encore noyés de théories, d’explications après coup. On peut encore y voir clair. Allons vérifier du côté des grands précurseurs, dès les années 1910.
Kandinsky et Le Cavalier bleu loin du réel
Kandinsky partait de paysage, d’un Cavalier bleu (Der blaue reiter), pour arriver à s’éloigner du réel, avant de faire ses formes dans l’espace. Malevitch lui, passait de l’un à l’autre : après avoir peint son carré noir, puis son carré blanc, il revint à des figures stylisés de paysans russes.
Son « suprématisme », des formes géométriques dans l’espace (comme les Constructivistes), s’attachait à une sorte d’architecture, à réutiliser pour immeubles et objets… pour la révolution russe.
Fernand Léger ou Miro firent de même : des tâches, des formes, mais aussi des objets bien réels (échelle, vélo, œil etc.)
Revenons à Piet Mondrian : en Hollande, il peint d’abord des portraits, des maisons et beaucoup de paysages, plages, arbres… Avant de dépouiller petit à petit ses œuvres, jusqu’à peindre des lignes noires, verticales et horizontales, séparant des rectangles bleus, rouges et jaunes, les trois couleurs pures d’ou sont issues toutes les autres…
Une première théorie montre ses peintures d’arbres, dont les branches s’entrecroisent et font penser à des toiles cubistes, dans les bruns. Puis les branches deviennent lignes noires qui s’entrecroisent, cloisonnant des gris, beiges, bruns, ce qui expliquerait la suite.
Puis à Paris il aurait parlé des immeubles et échafaudages : autre inspiration pour son idée « néo plastique » d’angles droits ? Enfin à New York (sa troisième étape de vie), on décide que ce sont les gratte ciel, les immeubles qui ont influencé ses toiles… ? On appelle alors les toiles des « compositions »…
Bref, on ne parle que de départs figuratifs pour arriver à la géométrie colorée…Ce qui est sûr , c’est que Mondrian voulait être plus moderne, plus stylé, plus parfait que les autres, ne vendant presque rien, écoutant du Jazz, pauvre et solitaire, jusqu’à ce que l’Amérique et New York s’intéressent à ce super moderne…
« Dépasser le cubisme »
Les cubistes, et les galeristes modernes l’avaient vu travailler à Paris pendant des années, sans vraiment s’y intéresser… Et même ils s’en méfiait, car celui ci voulait « dépasser le cubisme », qui commençait à se vendre…
Les deux grandes guerres ont aussi bloqué la découverte de celui qui allait devenir dans les années 50, puis 60, la grande star de l’Art dit Abstrait, le champion du modernisme, des « compositions géométriques », que la décoration allait piller : des meubles aux rideaux, des robes aux posters…
Mondrian était devenu « design » !
Mondrian figuratif. Catalogue d’exposition. Éditions Hazan. 168 pages. 90 illustrations couleur. 29 euros.
Exposition Mondrian figuratif. Musée Marmottan Monet. Du 12 septembre 2019 au 26 janvier 2020.
Note : Les peintres d’après la guerre de 39-45, aussi, s’engouffrèrent dans cette « abstraction », mais pour d’autres raisons.
Comme les Dadaïstes en 1914, il étaient si dégoutés par la monstrueuse Seconde guerre mondiale, qu’il fallait rompre à tout prix avec le passé et ses techniques d’Art, liquider les formes copiées sur la nature, l’imitation sur toiles, cul de sac culturel d’une « civilisation » destructrice !
Visuel en Une © Piet Mondrian, Composition avec grand plan rouge jaune noir gris et ble