Inaugurée sur le Vieux-Port, mercredi soir, devant près de 45 000 personnes selon la Provence du lendemain ( soit un stade aux deux tiers plein) MP2018 s’annonce comme la réplique – au sens sismique – à l’année Capitale Européenne de la Culture qui en 2013 avait marqué les esprits. D’un budget forcément beaucoup plus restreint (presque vingt fois moins), estimé à 5,5 millions d’euros et constitué de fonds de tiroirs et de soutiens des divers acteurs institutionnels et économiques de la région, cette demi-saison culturelle siglée Quel Amour court du 14 février au 1er septembre. Au soir de la Saint Valentin et du téléphage PSG-Madrid, elle fut ouverte en présence de tout le gratin politico culturel de la ville blanche et bleue retranché au Club Pernod (tout un symbole), par un grand baiser qui n’a pas étreint les foules du quai des Belges, tout en produisant quelques doux tableaux colorés dans le ciel.
Serait-ce une pudeur toute marseillaise qui voudrait qu’ici, si on s’engatse en pleine rue, on ne s’y galoche pas aux vues de tous ; ou tout simplement le non sens d’un spectacle qui, sensé magnifier le tendre lèvre à lèvre, était introduit par un comédien au timbre de voix trafiqué, façon hygiaphone des Baumettes.
C’est parti.
Sitôt le feu tiré et les lampadaires du Vieux-Port rallumés, la foule s’est éparpillée vers le MuCEM ou la Criée pour la suite des festivités d’ouverture quand elle ne regagnaient pas ses pénates. MP2018 était officiellement lancé, même si, dès midi sur le Parvis de l’Opéra ou un peu plus tard à la Cité des Arts de la Rue, à la Friche la Belle de Mai, au Studio Fotokino ou au Théâtre de la Joliette, une première série de propositions artistiques en direction le plus souvent des enfants avaient étrenné ce week-end d’ouverture. Ça reprend aujourd’hui et dure tout le week-end en plein cœur de Marseille, mais aussi à Arles, Aubagne, Istres, Martigues et Salon de Provence.
A chacun son planning selon ses envies et ses coups de cœur. Un site – www.MP2018.com – détaille l’ensemble des propositions. Programme chargé aux allures de marathon culturel pour les plus endurants qui pourront de jour comme de nuit plonger dans ce grand bain d’amour multiforme. Comme souvent à Marseille, le centre-ville concentre la grande majorité ou la presque totalité des manifestations. Peur de l’inconnu ? Déficience des transports en commun ? Dans un cas comme dans l’autre, cela marque les limites d’une ville qui se targue à tort ou à raison, d’être la ville du vivre ensemble, une ville qu’on adore autant qu’elle nous énerve. À la jonction de ces mondes ou presque, à la Friche la Belle de Mai, dans un interstice où culture, sport et vie de quartier s’entremêlent joyeusement, le thème de cet évènement culturel au long terme est revisité, questionné comme on dit dans cette ancienne manufacture des Tabacs, deux jours et deux nuits durant. Ponctué donc par un point d’interrogation, l’amour y est décortiqué tout le week-end sur le modèle des 48h chronos auxquelles nous ont habitué les programmateurs de la Friche. De la Cartonnerie au Cabaret Aléatoire, mais aussi aux Grandes Tables ou au Cinéma Le Gyptis voisin, la Friche jusqu’à dans ses moindres recoins, est amour. Dans la nuit de vendredi à samedi (de 23 à 5h) au Cabaret Aléatoire (18 €), les pionniers américains, successivement Lil’Louis et Terrence Parker, ainsi que le sudiste d’ici Jack Ollins, nous rappelleront avec Hearbeat que les préceptes premiers de la house sont hédonistes, que l’amour y est central comme souvent en musique : aimer être ensemble au delà de nos origines ou de notre statut social, et se retrouver sur le dancefloor unis autour d’une ligne de basse audacieuse et d’un kick ravageur ; des préceptes malheureusement trop souvent oubliés par des organisateurs sans culture du genre qu’ils disent chérir.
Le lendemain, en première partie de soirée, la Cartonnerie accueille la main sur le cœur entre 20 et minuit, A-MOR, une création de et avec les chanteur Manu Théron et le saxophoniste Edmond Hosdikian. Commande des structures musicales de la Friche, cette création « est un acte d’amour ; un acte d’amour à la ville ou je vis depuis des années » affirme le leader du Cor de la Plana avant d’expliquer que « l“amor” de ce concert gratuit est l’acronyme d’A Marseille Ou Rien, et qu’il ne réunit que des musiciens que j’aime, que j’aime et qui ont qui plus est une histoire intime avec Marseille. ». Tout est dit. Il ne reste plus qu’à dérouler le casting de cet acte d’amour, de ce moment de partage pour saisir que cet élan collectif ira jusqu’au bout, sans retenue, de la jouissance. Autour d’un orchestre (l’Amorchestra, forcément) composé de 6 musiciens – Fanny Lasfargues (basse), François Rossi (batterie), Pierre Luciani (guitare) et Arthur Bacon (accordéon), Edmond Hosdikian (sax alto), Manu Théron (chant et Mr Loyal), une pléiade d’amis, puisque ce de cela qu’il s’agit, au sens le plus fort et le plus exigeant du terme, se retrouvent par plaisir autour de tableaux aux talents entremêlés (Sibongilé Mbambo, Sam Karpiénia, Maria Mazzotta, Hakim Hamadouche, Tressym, Papet J, Ani et Dina Galstyan, Jean-Marc Montera, K-Meleon, Malk Ziad et Raphaël Imbert) où chacun ne représente rien d’autre que lui-même.
« On ne voulait pas d’un show à l’américaine. Tous les membres de cette aventure sont connus, identifiées et identifiables, voire reconnus pour certains » commente le chanteur. « Prends Jali par exemple, tu peux tourner autour comme tu veux, il est toujours Jali. Propose lui de partager avec quelqu’un, de se frotter, de se confronter et là forcément, il imagine autre chose. Ça nous nourrit, nous transforme » explique-t-il. « Amour est un mot occitan. En Français, il y avait ameur, mais cela était très fonctionnel, ne signifiant que l’acte sexuel, l’acte de reproduction. En occitan, amour parle du et au sentiment. L’amour n’est pas juste histoire de conquête, mais d’élévation du niveau de conscience. C’est ce qui m’intéresse dans l’amour, comme dans la musique d’ailleurs. Faire de la musique est un acte amour » dit-il avant d’auto-valider son assertion : « Autant en musique, qu’en amour, seul c’est chiant ! Le simple fait d’être ensemble, de faire de la musique ensemble, nous élève. C’est d’ailleurs pour permettre à des gens qui se détestent de jouer ensemble que la partition est apparue. C’est un concept militarisé de la musique » explique Manu Théron. Rendez-vous d’amoureux, d’amateurs d’harmonies et parfois même de dissonances volontaires, de voix sublimes aux horizons variés, ce concert baptisé A Marseille ou Rien raconte simplement ce fameux “vivre ensemble” qui colle à la peau de la ville, sans l’instrumentaliser dans un sens ou un autre.
Le lever de rideau est confié à DJ Rebel, autre amoureux des musiques , de toutes les musiques, connu avant tout pour son sens du mix hip-hop et la musicalité de ses scratches.
Durant ce week-end d’ouverture, ces deux jours et deux nuits, une multitude de proposition vous attendent à la Friche autour du photographe Antoine d’Agata par exemple à découvrir dans des conditions rares comme la projection de son film sur plusieurs écrans accompagnée par le mix ou le live de producteurs électroniques (une expérience rare et probablement déstabilisante), mais aussi des lectures de nuit autour d’un feu. En clôture de ce week-end in love with Marseille, le club de Jazz du Beau Monde proposé par le Marseille Jazz des Cinq Continents accueille dimanche de 18h à 22h Stéphane Belmondo et ses amis et invités (c’est à nouveau gratuit).
Pour ne rien louper, c’est ici