Du 3 au 5 juin, le festival Musiques Métisses d’Angoulême offrait une programmation fidèle à ses valeurs : fédérateur et solidaire. L’occasion pour les groupes de partager leurs visions d’un monde écolo et social.
“Si on est là, c’est pour montrer que, d’où qu’on vienne, la musique rassemble. On en est la preuve” appuie les fondateurs du groupe Abraham Inc. Avant leur entrée sur scène, Fred Wesley (trombone), David Krakauer (clarinette) et le producteur Socalled (Josh Dolgin) confient à Nova leur lecture du monde. Une planète “sans haine ni racisme, sur laquelle chaque personne doit être libre d’avoir sa religion”. Deux juifs et un afro-américain unis contre le racisme, à l’image de leur dernier album Together We Stand, disque au “message humaniste”.
Rassembler, c’est justement ce qu’a réussi à faire cette dernière édition du festival Musiques Métisses. Avec plus de 6 000 entrées, “la fréquentation est quasi la même que lors des éditions post Covid” assure Patrick Duval, directeur du festival. Un public avide de découvertes, comme devant le groupe Miksi. Initié l’an dernier par le projet européen Migrants Music Manifesto, il regroupe musiciens bordelais et artistes réfugiés venus de Syrie, d’Iran et d’Albanie. Les musiques de ces pays se marient avec de subtiles nappes électroniques. “On puise dans les répertoires de musiques traditionnelles de chacun. Tout le monde compose de son côté et on met ensuite en commun” confie Yamen Al Yamani. Le violoncelliste, qui a fui en 2011 la guerre en Syrie, est depuis installé en France. “Aucun d’eux n’a pu vivre de sa musique depuis leur arrivée dans le pays. Mais grâce à ce projet, c’est en train de changer” ajoute Nicolas Lescombe, clarinettiste et coordinateur du groupe. Miski pour mixité, le message est là aussi clair : la musique fédère quelles que soient ses origines.
Conteuse et griotte féministes
Prôner la fête tous ensemble, c’est aussi le leitmotiv des Zoufris Maracas. Devant un concert comble de plus de deux heures, les Sétois portent haut leur missive fédératrice. “Dans un festival comme celui-là, on est curieux de la musique des autres. Il y a une singularité, une unicité et une belle diversité” évoquent-ils. Une “faim de spectacle”, qu’ils partagent avec ferveur avec leurs fans émerveillés.
Autre scène, autre ambiance, celui du concert de Dafné Kritharas. Entre deux gouttes de pluie, l’artiste franco-grecque délivre avec intensité son dernier album Varqua (“La barque” en français). Dans ce disque jazz et folk, elle propose de passer d’un continent à l’autre, référence à l’exil des réfugiés et des peuples reliés entre eux au fil de l’eau. “La musique relie ces mondes, quels que soient les pays et leurs gouvernements, chaque langue a sa mélodie” confesse l’artiste, qui chante à la fois en français, en anglais, en grec, en bosnien ou en arménien. Dans ses textes, des contes grecs qu’elle s’approprie. “Le Colombier, ma dernière chanson, s’inspire de l’histoire d’une femme bannie d’un village. De ce récit, j’en fais d’une femme brimée, une femme forte qui veut régner sur le monde” confesse-t-elle.Une envie d’aller “à l’encontre de certains clichés sexistes des musiques grecques de rebetiko” ajoute-t-elle.
Autre cri féministe : celui des chansons de Djely Tapa. La griotte malienne (basée au Canada), fille de la chanteuse Kandia Kouyaté, délivre un show puissant et nuancé. Tantôt très rythmé, tantôt placide, sa musique transcende. Comme son dernier single, “Le Sais-tu”, dans lequel elle rend hommage aux femmes du monde. “Cette chanson est un appel du cœur. Nous les femmes devons nous lever au quotidien, lutter contre les poids qui pèsent sur nous” évoque-t-elle. Des poids comme ceux de ne pas être reconnues comme égal des hommes, d’avoir un rôle secondaire. Elle y tutoie les auditeurs, pour “s’adresser au monde”. “Le “tu”, c’est à la fois toi, nos parents, nos enfants, toute personne en face de moi” ajoute-t-elle. Un cri de colère, qui rugit en cœur avec celui de sa mère, surnommée “La Lionne”. “Elle a révolutionnée à elle seule la musique mandingue. C’est une travailleuse acharnée dont je tente de suivre les traces” livre l’artiste. Descendante d’une lignée de griots depuis le XIIIe siècle, Djely Tapa assoit cette envie d’avoir un “rôle social, de montrer à la société ses contradictions” dans une musique détonante.
Jazz écologique
Sur cette même scène, en plein après-midi, se tient le duo Las Hermanas Caronni. Originaires d’Argentine, les deux sœurs Laura (violoncelle) et Gianna (clarinette) proposent un jazz “écologique”. Leur dernier album, Santa Plastica, dénonce l’utilisation massive du plastique et de la tôle au quotidien. “On cherche à parler de manière légère de sujets lourds, comme du gaspillage ou de l’utilisation de pesticides comme le Monsanto” appuient-elles. Dans leur set, elles en profitent donc pour interpeller leur audience. “J’utilise des fois une grande feuille de plastique sur laquelle je fais des percussions. L’une de nous demande aussi s’il y a des architectes dans la salle. Si c’est le cas, on leur demande de repenser les villes pour un meilleur avenir” déclare Laura Caronni.
Sur des notes légères et mélancoliques, les deux sœurs prônent donc la récupération, la seconde main. Une philosophie en accord avec celle du nantais Bass Tong. Son concept : une musique techno sans électricité. Armé de tubes en PVC, de tongs et d’une imagination débordante, il fait danser la foule jusqu’à la clôture du festival grâce à son instrument fait maison. “J’essaye d’imiter des Dj set de techno, et de ne jamais s’arrêter. J’aime bien cette idée de tester tout le temps et de ne pas savoir ce qui va sortir de cette installation” précise-t-il. Il s’affaire derrière sa batterie faite de tubes, tong à la main pour en faire résonner les basses. Une musique par les objets, qui n’est pas sans rappeler la démarche de Jacques. “Je m’inspire pas mal d’artistes qui fabriquent eux même leurs instruments. Des collectifs de Kinshasa comme Fulu Miziki et Kokoko!, qui sont impressionnants à voir et à écouter” ajoute-t-il. Grandiose était aussi cette dernière édition du festival Musiques Métisses. Empli de convictions, d’idées et de partages, on espère y retrouver la même ardeur l’année prochaine.