La chronique de Jean Rouzaud.
Chacun de nous peut constater à quel point se répand un comportement d’auto-satisfaction, de nombrilisme et autres ravages de l’amour de soi, en réalité très complexe, le plus souvent issu d’une compensation à un manque de confiance en soi.
Paradoxal : les frimeurs sont souvent des complexés, victimes d’une mauvaise image d’eux-mêmes !
Les éditions La Découverte redonnent la parole à Marie-France Hirigoyen, psychiatre spécialiste des violences psychologiques (familiales, perverses, sexuelles…), suite à son succès, notamment avec son livre de 1998 sur le harcèlement moral, dont elle est spécialiste.
Avec Les Narcisse, l’auteur s’attaque au narcissisme pathologique, le moment où cette attitude prend le dessus et passe les bornes, entrainant drames et souffrances pour tous ceux qui y sont confrontés.
Narcisse ? C’est ce mythe grec d’un jeune homme si beau qu’il lui était interdit de se regarder. Une amoureuse rejetée l’amènera au bord de l’eau afin qu’il se voie dans son reflet. Ainsi, il tombe en amour pour lui-même, il en oublie le monde et les autres et se laisse dépérir…
De simple vantard jusqu’au mythomane dangereux
Ce livre nous rappelle l’histoire du syndrome narcissique, puis son étude par bien des psychiatres afin d’en comprendre les ressorts et surtout classer les « cas » : de simple vantard jusqu’au mythomane dangereux.
Après un classement hâtif de Freud (qui fut loin d’avoir toujours raison), qui y voyait un amour de soi exagéré, allant jusqu’à l’auto-érotisme, et une forme d’homosexualité sous-jacente, ce symptôme réducteur d’amour de soi fut réévalué en degrés et en catégories.
Il y a le narcissique « flamboyant » à la Trump, que rien n’arrête : ni les mensonges, contradictions, exagérations… Mais il y a aussi les narcissiques « plaintifs », éternels incompris, victimes de la bassesse des autres… Ça se complique !
Yann Moix est cité comme nombril à pattes ne pouvant aimer personne que lui-même, une sorte d’égoïste obsessionnel. L’auteur aurait pu y mettre aussi Michel Houellebecq, éternel geignard, victime du monde, en quête d’amour… le tout à sa sauce et selon ses obsessions.
Chaque chapitre décortique très sérieusement ce mal de manière détaillée et clinique, avec beaucoup d’exemples, jusqu’au fameux « pervers narcissique », horrible manipulateur un tantinet sadique, n’hésitant pas à rabaisser son entourage, pour pouvoir régner en tyran.
Néron, Caligula, Napoléon, Hitler, Staline…
Depuis Hérode, Néron, Caligula, ou même Alexandre, notre plus haute Antiquité n’a pas attendu Napoléon, Hitler ou Staline pour abriter les Narcisse surpuissants, auteurs de génocides planétaires…
Il est vrai que les « réseaux asociaux », internet, le cinéma, la téléréalité, le star system, le show business et les people… ont monstrueusement développé le système, en multipliant les miroirs aux alouettes déformants, surfant à fond sur l’égoïsme, la concurrence, la frime et le baratin !
Je m’éloigne du discours scientifique et clinique de madame Hirigoyen, mais la réalité de la déformation de l’amour de soi en hystérie permanente du look, de la beauté, des opérations d’esthétique tragiques, me force à revenir au paysage inquiétant, brut et direct.
Ce que ce livre d’analyse pointue nous rappelle, c’est que cet éternel phénomène d’auto-centrage augmente avec nos sociétés, et que le système même de guerre des marchés et des informations, nourrit cette attitude fantasmatique.
Le pire est qu’il y a eu, en Amérique, toute sorte de docteurs, penseurs et littérateurs pour tenter d’en faire une qualité !!! Le narcissisme était un plus pour se vendre, se faire remarquer, grimper les échelons, entrainer, convaincre les autres, bref réussir !
Tout utiliser, même les pires défauts et mensonges, c’est bien le marketing, qu’il soit politique, financier ou psychologique, et ses résultats catastrophiques. Une sorte de « negative thinking » !
L’Amérique y a gagné Trump et une cohorte de frimeurs, spin doctors et escrocs à la Madhoff. Je ne vois pas l’utilité de cette faiblesse humaine qui d’ailleurs tourne mal dans 99% des cas.
Je me sens déjà coupable de trop en parler, mais stopper cette épidémie nécessiterait un changement radical de façon de penser…
Bonne chance à tous, en attendant le vaccin anti narcisse !
Les Narcisse. Marie-France Hirigoyen. Éditions La Découverte. 230 pages. 18 euros.
Visuel en Une © Narcisse d’Oble L., 1894, huile sur toile, Musée Sainte-Croix (Poitiers, bât.)