Un mystérieux slogan interpelle depuis plusieurs mois les habitants de La Havane, à Cuba. Signé par un certain Mr. Sad, c’est une phrase très simple, qui recouvre les arrêts de bus, les gares et les murs de la ville… Et c’est plutôt rare, les graffeurs à Cuba. Le message fort de cet intrépide traverse les rues, et même les frontières de l’île…
Ça fait plus d’un an que les messages se multiplient dans les rues de la capitale de Cuba à La Havane. Sur ces tags, qui fleurissent sur tous les murs, on peut lire “Necesitas ser feliz”. Les plus bilingues d’entre vous auront évidemment déjà fait la traduction : “Tu dois être heureux”, ou “Tu as besoin d’être heureux”… Le tag est sans fioritures, d’une écriture attachée, un peu enfantine, en noir ou en couleurs, en pochoir ou non, et il se retrouve dans les rues, souvent sur les arrêts de bus, dans les gares, sur des panneaux de signalisation… Ironiquement, cette injonction au bonheur est l’œuvre d’un certain Mr. Sad, traduisez “Mr. Triste”.
Mr. Sad, « sociologue » et graffeur du bonheur
Cet étrange personnage ne se définit que par une profession, celle de “sociologue”. Il est âgé de 27 ans et a choisi, comme beaucoup de graffeurs à travers le monde, de rester anonyme. D’autant plus qu’à Cuba, le street art n’est pas bien vu des autorités et généralement surveillé. L’AFP rappelle l’exil de ce graffeur qui signait “2+2=5” ces dessins de gens masqués observant la société depuis des coins de rues… Tandis qu’un certain Yulier P a purement et simplement arrêté de peindre, par peur des représailles.
Un slogan pour réhabiliter Cuba en « étendard de la contre-culture”
Mr. Sad voit en son message “un ordre aimable”. Interviewé par l’AFP, il explique que la population de Cuba est tellement habituée à un matraquage visuel de propagande autoritaire qu’il lui fallait aussi formuler ce slogan sous la forme d’un ordre pour attirer l’attention des habitants. D’après le graffeur, au début de la révolution, donc en 1958, “Cuba est devenu l’étendard de la contre-culture”. Mais depuis, les slogans auraient perdu de leur sens pour les gens. À Cuba, le mouvement du graff est plus récent, et s’est développé plutôt à partir des années 2000, alors que Fidel Castro était encore vivant. C’est donc, par essence, un art rebelle, qui fait encourir des risques.
“Necesitas ser feliz” : un message pour une jeunesse en manque de repère
Malgré la menace de l’exil, progressivement, les “ordres aimables” de Mr. Sad ont pris de l’ampleur et ont trouvé écho chez de jeunes créateurs, ou tout simplement des jeunes. Certains se les sont même tatoués… Mr. Sad affirme avoir reçu beaucoup de témoignages de personnes pour qui son œuvre a eu un impact clair. Plusieurs racontent comment ces messages les ont poussées à fuir des violences domestiques, à aborder les questions d’identité et de genre autour d’eux, ou encore à renoncer au suicide… “Necesitas ser feliz” est même devenu le titre d’un court-métrage présenté à la Biennale de La Havane, signé par deux cinéastes de 22 et 23 ans.
Cuba face à l’une des pires crises économiques de son histoire
S’imposer le bonheur semble donc être un message qui parle à Cuba ! La population en a surtout cruellement besoin : 65 ans après la révolution Castro, l’île traverse sa pire crise économique depuis l’effondrement du bloc soviétique en 1991. Depuis l’embargo commercial instauré par les États-Unis en 1962, le pays est toujours plus laissé à son effondrement. La première présidence de Donald Trump (surnommé “el loco”, traduit “le fou”, par le peuple cubain) n’a rien arrangé : les sanctions économiques se sont endurcies et Cuba a été placé dans la liste des pays soutenant le terrorisme. Selon RFI, Cuba peine à alimenter ses infrastructures déjà vétustes et les pénuries alimentaires sont terribles. Le mois dernier, l’île subissait sa troisième coupure générale d’électricité en 2024. Et la réélection de Trump ne laisse pas présager une meilleure situation…
« Nous avons le droit d’être heureuses, de regarder vers l’intérieur et d’aller de l’avant »
Grâce à ses tags, Mr. Sad porte donc un ordre à l’introspection, et une injonction à ne jamais oublier d’être heureux, qui résonnent des rues de La Havane jusqu’en France, et ailleurs. On remercie donc l’AFP d’avoir mis la lumière sur Mr. Sad ! Concluons par les mots de Lilian Moncada, l’une des deux cinéastes derrière ce fameux court métrage : “Nous avons le droit d’être heureuses, de regarder vers l’intérieur et d’aller de l’avant, malgré les problèmes qui secouent l’île !”