Avec « jours de famine et de détresse », l’auteure nous rappelle la misère en Europe…
Dans cette époque de réfugiés, de pays dévastés, de guérillas sanglantes, il est bon de se rappeler que ce ne sont pas toujours les peuples lointains qui ont été touchés. Avec la réédition de Jours de famine et de détresse, qui faillit être prix Goncourt en 1911, Neel Doff, l’auteure, raconte sans détour, la pauvreté familiale dont elle fut victime à Amsterdam au tournant du siècle.
Sa famille dût se réfugier en Belgique pour ne pas mourir de faim, puis elle dût encore fuir la misère jusqu’à Paris où ses écrits la sauvèrent. En tout cas, la simplicité directe et détaillée du récit, son réalisme sans aucune emphase et la puissance d’évocation des situations résonnent encore d’une manière très forte et moderne. Ce petit livre aux Éditions l’Échappée est un témoignage rare et brut de la situation d’une famille à la dérive (neuf enfants + alcool et ignorance).
Exactement comme les Gitans, Roms, Roumains… Et autres errants des pays de l’est, fuyant le froid et tentant de grappiller un peu du confort et de la clémence de l’Europe de l’ouest, aujourd’hui !
Détail troublant : une certaine beauté physique, des enfants trop fins pour leur apparence et des parents trop fiers et à part pour accepter leur condition, ajoute à l’injustice et la cruauté d’une époque ultra-dure. Cette famille décalée et atypique, n’arrive jamais à s’en sortir : des gouts de luxe, de l’irresponsabilité (le père veut abandonner les enfants dans une crise de désespoir…), la mère est coquette et irréfléchie…
Il faudra la prostitution de Neel et de sa sœur (les deux ainées) pour que la famille se stabilise un peu à Bruxelles, mais Neel Doff devra fuir et tourner la page pour en finir avec l’injustice, les humiliations, refaire sa vie (elle sera modèle, notamment pour Félicien Rops) et s’imposer. La trajectoire de cette femme ultra-lucide, ayant tout connu, reste un témoignage rare sur une Europe en crise (il faudra le massacre des 2 guerres pour s’extraire de la féodalité bourgeoise du XIXe siècle !)
Excellent exercice d’altruisme et de prise de conscience que ce livre (avec images très début de siècle ) : comme Charles Dickens, Émile Zola et les romans picaresques espagnols (Lazarillo de Tormes). Poignant, sincère, ce récit est précisé par deux textes historiques, quinous donne les noms de ces grands auteurs dits « prolétariens ».
Jours de famine et de détresse de Neel Doff. Éditions l’Échappée. Collection lampe-tempête. 192 pages. 16 euros (illustrations Gaston Nick. Préface Maya Orianne. Postface Virginie Iglesias).
Visuel : (c) Éditions l’Échappée