La chronique de Jean Rouzaud.
Aux Éditions Séguier, un livre nous raconte par flashes et par le menu les dernières tournées de Christa Päffgen, alias Nico, ex chanteuse du Velvet Underground avec Lou Reed, ex égérie sixties de la Factory, ex amante supposée de Bob Dylan, Iggy Pop, Jim Morrison, Lou Reed, Alain Delon, ex actrice de Fellini et surtout de Philippe Garrel, qui lui dédia plusieurs films…
Nico, Walkyrie Pop ?
De 1981 à sa mort en 1988 à Ibiza, la Walkyrie Pop, gravement dépendante de l’héroïne, a quand même trouvé l’énergie de tourner un peu partout dans le monde : en Amérique, en Europe du nord et du sud (de l’Espagne à l’Allemagne et jusqu’à l’est, en Pologne et Tchécoslovaquie), ainsi qu’au Japon et en Australie…
Ces tournées successives, au départ de Manchester où elle vivait recluse, sont le chant du cygne d’une des rares vraies divas de l’underground, secondée par quelques musiciens triés sur le volet : guitare, batterie, clavier et parfois des tablas… et son éternel harmonium à pédales d’où elle sortait un son continu de bourdon et des mélodies minimalistes, de sa voix grave.
Dans ces récits fiévreux et désespérants, l’auteur James Young (musicien et ami) raconte sans concession les addictions de chacun des membres, rares volontaires pour ces expéditions de losers : cocaïne, amphétamines, héroïne, haschich, et même alcool ou prostituées…
Déboires sordides
Les galères de tournées sont un cliché répété par toutes les mémoires Pop Rock de la planète, mais avec Nico et son manager fou, et la bande de musiciens gothico-punks aux abois qui tentent de l’entourer, ces déboires prennent une tournure surréaliste ou dramatique.
L’auteur n’épargne rien des détails sordides de l’addiction, des seringues sales aux maladies qui s’ensuivent, des arnaques continuelles sur les hôtels, la bouffe, les frais, jusqu’aux crises de délires des uns et des autres, le tout sur un ton détaché et ironique de polar nihiliste.
On pense au roman Junky de William Burroughs : description de la vie des drogués et leurs combines et larcins, mais surtout de leur perversion devant la vie et les autres. Nico est un modèle de teutonne froide et insensible en apparence, cynique, égoïste, sans pitié, mais très troublée intérieurement, voire désespérée, véritable zombie qui en a trop vu et trop fait.
Gamine et paresseuse, exaltée et morbide
Il y a beaucoup de moments burlesques, absurdes, d’autres désespérants comme un chemin de croix qui n’en finirait pas… Nico est le centre de ce récit impérial et incompréhensible, gamine et paresseuse, elle passe de l’indifférence à l’exaltation, des enfantillages au morbide.
Il y a des apparitions de John Cale, deux fois associé à la tournée, passant comme un chevalier fou, un croisé halluciné ou hautain. Ou le poète Beat Gregory Corso, véritable agité, à côté d’un Allen Ginsberg largué… Les fantômes de la Beat Generation.
La réalité est que Nico a bien inventé un style et des musiques étranges, la définissant comme une déesse nordique, mêlée de pharaone, inspirée et psalmodiant une sorte de messe gothique et planante à la fois : un mélange de minimalisme et de grandiloquence.
Réussi pour certains, insupportable pour d’autres, ce témoignage décalé, et désespérant de sado-masochisme, permet d’approcher les mythes paranoïaques et sectaires des années 70, les légendes qui flottaient dans la tête de ceux qui avaient passé les limites.
Ce livre, titré The End, en mémoire de la chanson des Doors, est un rappel, incompréhensible pour beaucoup, des grandes utopies comportementales qui ont suivi les révolutions Beat, Hippy, Glam, Punk, Gothique, Hard, Death , qui saupoudrent ces existences perdues…
Nico The End. De James Young. Éditions Séguier. 328 pages. 21 euros.
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