Adaptation d’un classique de Shakespeare dans les bas-fonds berlinois ou coulisses de la première d’une émission mythique, tout est bon pour faire monter des fièvres historiques.
« No Beast So Fierce » : Shakespeare s’immisce dans la pègre maghrébine berlinoise
De toutes les pièces de Shakespeare, Richard III est sans doute celle qui se prête la plus à une réinterprétation contemporaine. Surtout dans une époque où les despotes les plus extravagants s’arrogent de nouveau le pouvoir, où la classe politique n’est plus que coups bas entre structures claniques. No Beast So Fierce transpose donc l’éternelle lutte entre les York et les Lancaster dans la pègre maghrébine berlinoise, Richard s’appelle ici Rachida et fomente dans l’ombre un complot pour arriver au sommet de l’empire mafieux. Comme elle le dira à sa mère : « tu connais le topo, je vais le réécrire un petit peu« . Burhan Qurbani malaxe donc le classique de Sir William pour y incorporer propos sur le patriarcat, l’immigration et l’empouvoirement féminin. Tout transpire la guerre dans No Beast So Fierce : de clans, de sexe, voire tout court quand même l’écho du conflit au Moyen-Orient se fait entendre via un casting composé, dans les deux rôles clés, d’actrices syriennes (Kneida Hmeidan) et palestiniennes (Hiam Abbas) qui se sont exilées de leurs pays respectifs. Qurbani leur offre un ahurissant terrain de jeu, entremêlant environnement ultra-urbain et zones désertiques, radicalité du théâtre d’avant-garde et virtuosité formelle du cinéma. De même, la langue s’hybride entre monologues shakespeariens et argot de la rue, les mots claquant encore plus forts que les séquences de fusillades. No Beast So Fierce y construit un terrassant maelström, évacuant toutes les conventions dans un sidérant dernier acte, concentré sur la colère face à une Europe sombrant dans sa face obscure, prête à toutes les trahisons de ses promesses pour régner par la peur.
« Saturday Night » : 90 minutes de chaos pour un moment de bascule culturelle
Le 11 octobre 1975, Lorne Michaels aura dû surpasser la trouille de sa vie pour mener à bien la toute première émission du Saturday Night Live. En cinquante ans, le show télé est devenu une institution de la télé américaine, au point qu’on ait oublié combien il fut une bascule culturelle, en faisant entrer dans les foyers une nouvelle génération de comiques, dynamiteurs des mœurs. Saturday Night fait le compte à rebours de l’heure et demie qui va précéder la mise à l’antenne de l’émission, accroché aux basques de Michaels, jeune producteur naviguant entre avaries techniques, comédiens ultra-narcissiques et mise en place des numéros. Une véritable ruche bourdonnante racontant l’Amérique du milieu des années 70 dans son énergie comme dans ses excès. Brillant dans sa manière d’incarner en quelques secondes des anecdotes sur les piliers de l’émission, de Chevy Chase à John Belushi, faire monter la pression façon cocotte-minute ou résumer les coulisses du télé-business, Saturday Night est encore meilleur quand il rappelle que plus encore qu’un programme devenu mythique, cette aventure folle fut aussi celle d’un souffle de liberté.
No Beast So Fierce en salles le 26 mars. / Saturday Night en location sur Apple TV+ et Prime Video.