La chronique de Jean Rouzaud.
Après tout, l’absurde (absurdisme ?) et le non-sens (nonsensisme…), méritent d’être plus que des adjectifs. Ce sont des concepts récurrents.
Le non-sens, un concept ?
Les éditions Lobster, qui rééditent les perles des débuts du cinéma (muet, burlesque, aventures et autres raretés du début XXe siècle) viennent de se pencher sur la question, avec l’essai d’Antoine Angé Nonsense et Cinéma.
Le septième Art est intrinsèquement lié à l’impossible, à l’absurde et autre non-sens : les effets, la pellicule, les trucages et le montage ont toujours donné lieu à des actions irréalisables, à des flashback, des incrustations, des inversions et toutes sortes de trucages.
Ce livre énumère, depuis Charlot et Laurel et Hardy ou W.C. Fields (après le pionnier français Max Linder), ce que le cinéma a exploité comme effets, notamment la marche-arrière, qui permet à un plongeur de ressortir de l’eau et remonter sur le plongeoir !
Comme le ralenti ou l’arrêt sur image, le cinoche permet beaucoup de fantaisies (et aujourd’hui c’est sans limite), d’où l’étude de son évolution.
Carroll, Cocteau, Dupieux, Sellers…
L’auteur se réfère souvent à Alice au Pays des merveilles de Lewis Carroll, auteur anglais passionné d’inversions, de jeux de mots et d’absurdités, qu’une petite fille rencontre dans un monde inversé, ou même les mots sont assemblés et trafiqués.
Les films de Jean Cocteau aussi, plein de mythes et de poésie, nous ont offert des statues animées, avec des yeux, ou des centaures…
Tex Avery ressurgit également pour ses dessins animés dont les personnages sont aplatis, écrasés, allongés, explosés etc. sans aucun dommage, et repartent en courant vers de nouvelles casses !
Enfin l’auteur décortique des réalisateurs comme Quentin Dupieux, et ses films décalés, dont le but semble de détruire tous les codes, la logique ou une quelconque raison. Dans Rubber, il s’agit d’un pneu (!) tueur en série ! Tous ses personnages sont livrés à leur propre logique absurde. Dupieux a travaillé avec Laurent Garnier, Justice, Sébastien Tellier etc. Y a-t-il un lien de délire, entre électro et image, le même fantasme de liberté totale ?
Le monde de l’absurde au cinéma est vaste : les Monthy Pythons évidemment…Et il faudrait parler du Goon Show, cette émission radio BBC des années 50 avec Peter Sellers, qui a inspiré les sixties, des Beatles aux Pythons, sans oublier la Panthère Rose de Black Edwards et son burlesque anglais, pince-sans-rire et ridicule.
Et si les Anglais sont les champions de l’absurde, c’est justement parce que les nombreux codes et habitudes anglaises permettent de fameux détournements. Plus il y a de règles, plus on peut en détruire ! (appuyez-vous sur vos principes, ils finiront bien par céder…)
À travers cet essai, qui s’enfonce dans une jungle d’exemples, de concepts, et de toutes sortes de références et de théories autour de l’utilisation de l’impossible, de l’absurde, du dérapage, y compris avec les mots, les syllabes, les inversions, allitérations… Tout ce qui permet de glisser de la réalité… À un autre monde ?
L’être humain a toujours voulu tout changer sur Terre. Détourner fleuves et lacs, raser les collines, percer les montagnes, bétonner la nature, changer le cours des choses, et comme il ne peut tout reformer à sa guise, il s’est tourné vers le théâtre, le cirque, la magie, le trompe-l’oeil, la prestidigitation, l’illusion… pour satisfaire son désir de puissance.
Même Edouard Baer est convoqué dans cet historique du non-sens, comme le chantre d’un discours impossible (télé, théâtre, cinéma, radio…Nova !) où se mêle dérive et logorrhée, cliché et parodie, afin de mieux nous perdre dans l’inanité du monde.
Le non-sens nous libère de la soi-disant raison. La logique a ses limites en face des pulsions du monde.
Nonsense et Cinéma. Par Antoine Angé. Éditions Lobster. 175 pages. 15 euros avec bibliographie et illustrations.
Visuel en Une © Rubber de Quentin Dupieux