À votre avis, Scar est-il un gauchiste corrompu ou un despote autoritaire ? Iron Man est-il un méchant capitaliste républicain ou un démocrate hypocrite ? Votre choix a toutes les chances d’être entièrement influencé selon où vous vous situez politiquement. Le chercheur Stuart J. Turnbull-Dugarte a théorisé ce phénomène : c’est la projection sociale.
En 2022, un petit malin (et doctorant de l’école Paris Dauphine) du nom de Théo Delemazure a créé DeGaucheOuDeDroite.fr, un site qui, à l’aide d’une IA, nous indique si tel ou tel truc était plutôt de droite ou de gauche. On a fait quelques tests pour vous : Dobby, l’elfe de maison de Harry Potter, il est de gauche, Merlin l’Enchanteur, c’est un gars de droite, et manger, c’est un truc de gauchiste ET de droitard. En creusant un peu plus profondément le sujet, il est possible de tomber sur le travail du Docteur Stuart J. Turnbull-Dugarte.
La thèse de Stuart J. Turnbull-Dugarte : qui est de gauche, qui est de droite ?
Le chercheur britannique a publié tout récemment une thèse par laquelle il avance qu’il est impossible de savoir d’un coup d’œil quelles sont les préférences politiques d’une personne. Stuart J. Turnbull-Dugarte admet que chacun peut avoir quelques idées reçues sur les autres. Par exemple, apprécier la bière artisanale serait possiblement un indicateur d’être un électeur de gauche, tandis qu’avoir la même passion pour les armes à feu catégoriserait plutôt comme un électeur de droite, généralement masculin. Deux exemples qui représentent autant de clichés qui ont la peau dure… Et qui font le beurre de certaines chaines d’information en continu. Sauf que Stuart J. Turnbull-Dugarte a décidé de se poser une question encore plus con : Pourquoi est-ce qu’on a toujours l’impression que nos héros préférés ont les mêmes idéaux politiques de nous ?
Une tendance à associer les « gentils » à nos propres opinions politiques
Pour mieux comprendre cette différence, Stuart J. Turnbull-Dugarte a recruté 3 200 volontaires, en leur demandant de deviner le bord politique de plusieurs héros tels que Harry Potter, Spiderman et Gandalf, ainsi que des méchants, à l’instar de Voldemort, Cruella et Joffrey Baratheon. Les cobayes devaient aussi dévoiler le parti – démocrate/républicain ou travailliste/conservateur – qu’ils soutenaient eux-mêmes. Les résultats sont révélateurs : en général, les répondants associaient la première catégorie de personnages, les « gentils« , à leurs propres opinions politiques.
Exemple : Pascal Praud et Greta Thunberg sont, hypothétiquement, fans du Seigneur des Anneaux. S’ils ont tous les deux les mêmes frémissements d’excitation lors de la charge du Rohan pour sauver Minas Tirith, ils doivent probablement projeter une image aux biais très différents à l’égard de la Confrérie de l’Anneau – les « gentils » – et de Sauron – le « méchant » –.
Le projection et contre-projection sociale
Pour Stuart J. Turnbull-Dugarte, il s’agit ici d’un principe simple : c’est la projection sociale. En psychologie, ça consiste en ce que les individus ont tendance à attribuer leurs propres opinions politiques aux autres, surtout lorsqu’ils les perçoivent comme appartenant à leur groupe. À l’inverse, il existe aussi la contre-projection qui consiste en ce qu’une personne jugée négativement est souvent associée à un groupe extérieur et perçue comme politiquement opposée. « Les gens pensent que les héros sont plus susceptibles d’appartenir à leur groupe, mais peuvent accepter qu’une certaine proportion ne le soit pas« , nuance Stuart J. Turnbull-Dugarte. « Les répondants étaient beaucoup plus cohérents lorsqu’ils identifiaient un méchant comme appartenant à l’autre groupe. »
« Nous sommes convaincus que notre bord politique est celui des gentils, et la partie adverse représente les méchants »
Le problème, c’est que ce concept façonne nos jugements politiques bien plus qu’on ne le pense. « Dans un contexte où la polarisation est forte, la projection semble davantage viser à définir qui nous ne sommes pas, de qui nous sommes« , analyse l’auteur. « Ainsi, nous sommes convaincus que notre bord politique est celui des gentils, et la partie adverse représente les méchants.” Au chercheur de conclure : “Pour surmonter les divisions politiques croissantes, nous devons reconnaître cette tendance à projeter des traits héroïques et méchants selon des lignes partisanes et reconnaître que la réalité est toujours plus complexe et nuancée que nos préjugés ne voudraient nous le faire croire.”