« Construção », le chef-d’œuvre poétique et contestataire de Chico Buarque.
Radio Nova revisite ses propres classiques : les raretés de tous bords qui rythment notre antenne, de la soul-funk au hip-hop en passant par les musiques afro-latines et la pop. Aujourd’hui : « Construção » de Chico Buarque.
Notre classique du jour est l’un des morceaux les plus forts, les plus emblématiques de la musique populaire brésilienne. Une chanson devenue, à sa parution en 1971, allégorie de l’oppression de la dictature militaire sur le peuple.
Son auteur, c’est Chico Buarque, figure du MPB, la musica popular brasileira née dans le sillage de la bossa nova. Au début des années 1970, Buarque est déjà dans le viseur du pouvoir. Après un long exil en Europe, il revient au pays pour y enregistrer son album le plus ambitieux, le plus politique aussi : Construção, où l’on trouve la chanson du même titre, morceau-fleuve qui condense toute l’indignation de l’artiste dans un brassage provocateur de rythmes afro-brésiliens et d’orchestrations symphoniques.
Construção, ça veut dire « construction », et le mot est à prendre dans plusieurs sens. Il y a d’abord celle du bâtiment au centre de l’histoire, et par extension la construction de tout le Brésil moderne. Celui symbolisé par Brasilia, capitale alors fraîchement créée de toutes pièces par l’architecte Niemeyer et devenue siège de la dictature. Il est, aussi, question de la construction de la chanson elle-même, entièrement écrite en alexandrins et dont la composition est résolument — elle aussi — innovante.
L’histoire est simple. Un ouvrier en bâtiment se réveille, embrasse sa femme et ses enfants, traverse la rue, va travailler, déjeune, puis se jette du toit, créant un bouchon au milieu de la route où il s’écrase. Chico Buarque nous fait ensuite revivre cette même journée, encore et encore comme un supplice de Tantale, mais en intervertissant à chaque fois la fin des phrases pour en transformer le sens. Ce qui pourrait être un simple fait divers devient, par ce procédé stylistique, allégorie poétique de l’absurdité d’un système qui écrase l’homme au nom de la modernité.
Le tout dans un crescendo apocalyptique de chœurs masculins, de cuivres et de cordes tranchantes orchestrés par le grand Rogerio Duprat (l’arrangeur des tropicalistes), qui fait de ce Construção un chef-d’œuvre d’inventivité et d’emphase. Un titre d’ailleurs élu meilleure chanson brésilienne de tous les temps par l’édition nationale du magazine Rolling Stone, et dont le propos demeure tout aussi actuel aujourd’hui.
Visuel © Getty Images / Frans Schellekens