Compte-rendu d’une nouvelle soirée suspendue.
« Des beignets de salsifis digitaux », voilà comment Kirikoo Des, l’artiste qui se cache derrière le fatras de machines de NSDOS qualifie son affaire. La musique de ce groupe à une tête se farcit dans une étrange addition de claviers, de boutons, de touches et d’écrans. Il y a par exemple cette sorte de minuscule calculette colonisée par des boutons de couleurs différentes, il y a aussi cette tablette sur laquelle apparaissent et disparaissent des points fluos, comme une espèce de jeu de bataille navale électronique. Pour introduire ce nouveau Nova[Mix] Club au Point Perché, le premier de l’année 2015, NSDOS a trituré avec génie ses machines pour bidouiller une techno à plaques débarquée d’une autre dimension, accélérant avant de faire mine de mourir pour mieux exploser derrière. C’était une tambouille électronique. Une cuisine 8-bit, qui nous a projeté en même temps dans le passé kitsch des machines rétro et dans un futur où tout serait digitalisé. Une sorte de futur antérieur ou de passé futuriste drôlement séduisant. Et puis il y a celui qui a mis en branle ce drôle de voyage : avec son chignon tressé perché au sommet de son crâne, son bomber, son pantalon large serré par des chaussettes qui lui remontaient à mi-mollet et sa manière de sautiller derrière le booth, Kirikoo Des était un pilote terriblement entraînant.
Dans la foulée de ce décollage lunaire, c’est DJ Orgasmic que l’on retrouvait derrière les platines du Point Perché, délestées de l’attirail version NSDOS. L’ancienne éminence grise du groupe TTC et co-fondateur du label parisien Sound Pellegrino s’appliquait à délivrer une techno lourde qui en faisait presque trembler le zinc de l’escalier en colimaçon menant au Point Perché. Venu pour fêter la sortie du quatrième volume des compilations de son écurie, DJ Orgasmic transformait la salle en super tanker chargé de caissons de basse. Un décor froid, grinçant, un peu hanté aussi, que l’artiste a fini par adoucir en laissant les enceintes susurrer les airs bonbons de Rae Sremmurd, la nouvelle sensation club du rap américain.
Revenu d’un trip au Japon où il nous a confessé s’être gavé en sushi de tous les genres, le Dj mancunien A Guy Called Gerald s’est ensuite installé aux manettes du booth. Pour ce pionnier de l’acid house confortablement installé dans ses bottes vintage, l’heure n’est plus à faire tourner les vinyles, mais plutôt à tapoter sur une tablette. Une installation minimaliste qui n’a pas empêché ce bon vieux Gerald de secouer la foule grandissante comme aux plus grandes heures de l’Hacienda. Rien que ça.
La tâche de boucler cette première édition 2015 du Nova [Mix] Club au Point Perché est revenue au truculent Teki Latex, la deuxième tête du fameux label Sound Pellegrino. Débarqué dans un gros blouson aux contours « bboyesques », le DJ et producteur a fondu la house de son prédécesseur dans une techno plus bondissante et divinement actuelle. Une musique pétrie de tout, fusant au-delà des 100 bpm, mais flirtant avec les autres genres au gré de ses sillons et de ses ralentissements, entre hip hop et batucada brésilienne. On était tellement dedans, ravis de faire le grand écart entre le Bronx et Rio tout en étant couvé par le phare de la Tour Eiffel que l’on n’a pas vu le temps passer. L’antenne de Nova était rendue et l’on en redemandait. Parfois, il est bon de jouer les prolongations.
Crédit photo: Sarah Bastin