L’auteur syrien sort un deuxième roman aux Editions Flammarion et revient dans Néo Géo sur la révolution syrienne.
Omar Youssef Souleimane est originaire de Syrie. Il est arrivé en France en 2012, un an après le début des Printemps Arabes, qui ont réveillé les jeunes démocrates syriens au prix de leur vie. Exil, révolte, manifestations, aspirations… autant d’événements racontés dans Le Dernier Syrien, deuxième livre d’Omar Souleimane, que Marie Misset racontait également dans Marie Transport. C’est le titre de son court roman passionnant, secouant, politiquement incorrect, puisqu’il explore des questions de résistance, d’homosexualité, d’athéisme, dans un pays que l’auteur a dû quitter pour rester en vie. Bintou Simporé l’a rencontré pour Néo Géo.
L’année dernière, nous présentions dans Néo Géo, Le Petit Terroriste. Omar Youssef Souleimane, vous revenez avec Le Dernier Syrien qui est, quelque part, une suite. Dans le premier livre, vous parliez d’un jeune homme en exil, qui était arrivé en France, et l’on retournait dans son enfance, avec ses parents salafistes. Ils s’étaient installées en Arabie saoudite. On suivait aussi les premiers émois amoureux et sensuels de ce petit garçon et sa grande interrogation face à la religion…
Ce n’était pas facile. J’ai écrit ce livre à un moment très important de ma vie, ici en France, après le massacre de Charlie Hebdo. Je participais à cette grande manifestation, qui avait eu lieu le jour même. Je me posais cette question : si je n’étais pas sorti de cette idéologie en Arabie saoudite, est-ce que j’aurais fait partie des tueurs de ce matin ? C’était une question difficile, profonde, donc j’avais besoin d’écrire cette histoire : à quel point j’avais été attaché à l’idéologie d’Al Qaïda, et d’Oussama Ben Laden, pendant les événements du 11 septembre en Arabie saoudite, quand j’avais 14 ans. Et ensuite, comment et pourquoi j’étais sorti de cette idéologie.
Qu’est-ce qu’il reste de la Syrie aujourd’hui, après toutes ces années de guerre, de violence, de torture ?
Votre dernier roman, c’est donc Le Dernier Syrien. Qui est le dernier syrien ? C’est vous ?
Oui et non. C’est un livre qui raconte l’histoire d’un groupe de jeunes Syriens qui se retrouvent à Damas pour manifester contre le pouvoir, au début du mouvement en 2011. Alors le dernier syrien peut être n’importe quel membre de ce groupe, c’est-à-dire que chacun et chacune l’est à sa façon. Je me pose toujours cette question : qu’est-ce qu’il reste de la Syrie aujourd’hui, après toutes ces années de guerre, de violence, de torture ? Une seule chose a survécu à ce massacre : c’est le rêve, qui accompagne les Syriens où qu’ils soient dans le monde. Ce rêve est Le Dernier Syrien. C’est ce que je voudrais raconter dans ce livre.
Une seule chose a survécu à ce massacre : c’est le rêve, qui accompagne les Syriens où qu’ils soient dans le monde. Ce rêve est Le Dernier Syrien.
Les chiffres sont impressionnants : 12 millions de Syriens déplacés et réfugiés, selon une étude publiée par Human Rights Watch en 2017. 200 000 civils ont été tués dans les combats. Vous nous faites vivre cette situation dramatique par le bout de la lorgnette, la petite histoire, qui raconte la Grande Histoire, avec votre groupe de potes. Je pense à Khalil, Joséphine, qui a l’intention de se libérer…
Cette génération qui a manifesté contre le pouvoir, ne voulait pas seulement renverser le régime, ou lutter contre les Islamistes qui ont profité de la Révolution, mais aussi, lutter contre les conséquences de ce régime et des Islamistes sur la société syrienne. Leur révolution était beaucoup plus profonde et beaucoup plus grande qu’un coup d’État contre un pouvoir, ou le remplacement d’un régime par un autre. C’est une manière de dire qu’ils étouffent.
Pour eux, la révolution était contre tous les tabous de la société syrienne. Ces jeunes étaient vivants, comme Joséphine, par exemple, qui est dans le roman une femme indépendante, forte, libre. Elle rassemble les jeunes autour d’elle pour manifester contre le pouvoir, c’est l’icône de la liberté et de l’espoir en Syrie. Elle bouge tout le temps entre la capitale Damas et Homs. Elle arrive à exfiltrer des militants des checkpoints, elle les traverse même avec des médicaments, et Youssef par exemple, son meilleur ami, homosexuel et rebelle, s’en fout des tabous de la société.
Comme vous le savez, l’homosexualité est complètement interdite en Syrie. À travers lui et Mouhammad, son amant, on voit comment se profile la situation de l’homosexualité en Syrie. À travers ces jeunes, je voulais aussi raconter les détails ou la beauté des détails de la vie quotidienne à cette époque parce que dans les médias, on n’en parle pas. Quand on parle de la guerre civile, on parle de la violence, de la torture, mais on oublie les petites histoires qui sont tellement belles. Je crois que c’est le travail de la littérature.
Ces jeunes ont essayé parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix.
On voit aussi comment les copains prennent des directions différentes, pour parfois se séparer. C’est assez complexe, cette situation. Vous nous parlez indéfiniment des Alaouites, donc ceux qui sont proches du pouvoir en culture et en confession, mais en même temps peuvent être critiques.
Ils sont différents. Ils ont chacun leur opinion, et en fait on peut se demander : qu’est-ce qui unit ce groupe ? Cette révolution ? Cette lutte contre l’origine… Aucun membre de ce groupe n’avait d’expérience auparavant, qu’elle fût politique ou dans les manifestations. En Syrie, on a vécu de 1963 à aujourd’hui, en vie, selon l’état d’urgence. C’est un régime policier où il n’y avait aucune liberté d’expression. Donc c’est normal que l’on n’ait aucune expérience politique. Mais ces jeunes ont essayé parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix.
La forme du livre est très vivante. Il y a ce récit des déambulations et des activités du héros, dont le personnage principal qui s’appelle Youssef. Il vous ressemble un peu d’ailleurs, non ?
Forcément. Je vis dans un cas un peu schizophrénique en France (comme les réfugiés, qui vivent entre deux cultures), un cas, disons, plutôt paradoxal. Chaque membre du groupe est une partie de moi, mais la personne à qui je m’identifie le plus, c’est Joséphine.
Nous suivons donc le récit de ces différents personnages, entrecoupé de lettres et de mails que s’envoient, amoureux, Youssef et Mohammad.
Les mails ou les réseaux sociaux, au début du mouvement en Syrie, étaient très utiles pour ces jeunes, dans un pays complètement divisé, avec une grande difficulté pour communiquer. On peut dire qu’ils se sont réfugiés dans Internet, pour avoir une forme de liberté dans un pays où tous les médias étaient interdits.
D’ailleurs, Youssef se promène avec une caméra. Internet a beaucoup servi pour la communication ?
Youssef, par exemple, était photographe, filmait les manifestations et les victimes. Avant même qu’il sorte de Syrie, il avait plein de problèmes, il se demandait : qui va filmer tous ces gens ? Qui sera témoin ? Qui va adresser au monde entier ce qui se passe sur notre terrain, les massacres ? C’était le discours majoritaire parmi ces jeunes au début du mouvement. Parce qu’on est au XXIe siècle, on a l’impression que c’est impossible que le monde entier reste calme face à un dictateur, un fasciste qui massacre son peuple. On pense que quelqu’un va nous aider. Mais le plus important, c’est de le diffuser, d’envoyer tous ces crimes aux chaînes internationales, à Amnesty. C’était bien, mais malheureusement, il y avait une sorte d’illusion parce que même au XXIe siècle, on n’était pas persuadé au début, que c’était possible. Et malheureusement, c’était possible.
Sans compter la révolution sociale à laquelle ces jeunes aspirent… Il est question d’homosexualité dans Le dernier Syrien, et également d’hypocrisie dans des sociétés qui réfutent cette homosexualité, même si Mohammad passe son temps à lire d’anciens textes pour montrer que l’homosexualité existait depuis fort longtemps dans ces pays du Levant.
Mohammad, c’est l’amant de Youssef, c’est quelqu’un de très seul, de timide. Il a des problèmes avec la société, avec la communication en général, alors il passe son temps à lire. La lecture et le sexe sont ses refuges à lui, pour se sentir vivant. Pendant sa lecture, dans le roman, il découvre que l’homosexualité était omniprésente dans l’histoire du Moyen-Orient, surtout chez les califes, chez les émirs, qui avaient plusieurs amants. Le calife abbasside Al Amin était 100% homosexuel, il avait un amant qui s’appelait Kaouthar, un poète. Tout ça, c’est écrit dans notre histoire, alors il se pose toujours la question de comprendre pourquoi l’homosexualité, est devenu interdite aujourd’hui. Il y a une sorte de paradoxe en Syrie, surtout à Damas, où il existe des lieux de rencontres homosexuelles. Mohammad s’y rend souvent. Ce sont des jardins, des cinémas, le hammam, où il retrouve sa propre liberté avec des gens du même sexe.
S’exprimer ainsi, même sous couvert de fiction, sur la réalité du pays dont on a dû s’exiler, je suppose que ce n’est pas forcément sans conséquence. C’est un choix ?
Quand on perd tout, c’est-à-dire son pays, sa maison, sa famille, tout ce qu’il nous reste, c’est notre liberté personnelle, notre liberté d’expression. C’était un choix évidemment de perdre tout ça, pour gagner cette liberté.
C’est un choix, avec la peur qui peut subsister ?
Non je n’ai pas peur. En restant en Syrie, on était persuadés que si nous étions arrêtés, ou tués, ou torturés — ce qui est arrivé à certains de mes amis et à des personnages du livre — il y aurait une autre génération pour nous remplacer, qui vivrait avec sa propre dignité et sa propre liberté. Peut-être que c’était une illusion, mais en tout cas c’était une croyance. La mort pour nous, ce n’était pas très courant. Nous nous révoltions vraiment pour vivre. Mais comment peut-on gagner une bonne vie, dans un pays contrôlé par un fasciste, si on ne lutte pas contre lui ? C’est impossible.
Omar Youssef Souleimane, y a-t-il une musique que vous écoutez depuis l’enfance, et qui vous rappelle la Syrie ?
Quand j’étais petit, on écoutait beaucoup Fairuz, la musicienne libanaise, très connue dans le monde arabe. On l’écoutait tous. Dans les rues, dans les véhicules, dans toutes les maisons. En Syrie et au Liban, c’est très courant de l’écouter partout. À la pause, à l’école, cette chanson, « Asfoura Al Shajan », était diffusée tout le temps. Elle restait dans la mémoire. C’est une chanson d’amour, de joie, de mélancolie. C’est pour ça que je l’aime beaucoup, et d’ailleurs, je l’écoute énormément ici en France, quand je suis seul. Je l’ai choisie, pour qu’on l’écoute ensemble.
Une lecture du texte Le Corps Exilé aura lieu le 16 avril à la Comédie Nation à Paris.
Les photos sont de Claude Gassian pour Flammarion.
Pour écouter l’intégrale du Néo Géo du 1er mars, c’est ici.
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