Tomber, recommencer, tomber, recommencer, et ça environ 153 fois avant d’enfin réussir à faire la pirouette correctement… C’est la mentalité de ces skaters ukrainiens, capturés par l’appareil de Robin Tutenges à travers des paysages de ruine. De Dnipro à Kharkiv, ou ailleurs, la jeunesse a fait du skate un exutoire vital, un acte de résilience et de liberté face à l’invasion russe.
2 ans, 10 mois et 18 jours. Voilà le laps de temps qui, aujourd’hui, sépare l’Ukraine de l’invasion russe sur son territoire, le 24 février 2022. Presque 3 ans de guerre… Et pourtant la vie doit continuer. Nova vous a déjà parlé de ces artistes qui s’unissent face à la guerre, et de ceux qui osent tenir tête au régime russe.
Des jeunes en skate face au conflit russo-ukrainien
De son côté, avec “On asphalt we grow”, le photoreporteur Robin Tutenges nous raconte une histoire différente : celle de cette jeunesse ukrainienne qui skate parmi les squelettes des immeubles en ruines. Sur des images en noir et blanc, on reconnait les vêtements larges, les baskets usées et les casquettes caractéristiques. Accompagnés par quelques meufs, des équipes de garçons mouillent les chemises à coups de concours de tricks, usent les roulettes et sautent sur le bitume. Ces petits groupes, on les retrouve à Dnipro ou à Kharkiv. Tout a quasiment l’air normal… Jusqu’à ce qu’on remarque les sacs de sable aux coins des fenêtres calfeutrées, les obstacles antichars et les buildings délabrés.
S’amuser, tomber, recommencer et se libérer
Partout où il est pratiqué, le skate représente une manière d’explorer et de s’approprier la rue : c’est à la fois une échappatoire vitale et un acte de résilience. Depuis la mise en place de la mobilisation générale, les hommes de 18 à 60 ans ne peuvent pas quitter le pays, ce qui a fini par enfermer la plupart des jeunes dans un quotidien morose. À la lumière de l’invasion russe, le skate prend ainsi une épaisseur symbolique inédite pour la jeunesse ukrainienne. La destruction systématique des bâtiments par les bombardements russes ne lui donne aucune possibilité d’étudier. Beaucoup décident donc de partir skater en équipe, pour s’évader comme ils peuvent, et s’autoriser un peu à revivre, à s’amuser, à tomber et à recommencer. Mentalité de Trasher !!!
« L’Ukraine est comme une prison dont on ne peut pas sortir, et Kiev est ma cellule. Seul le skate me permet de m’évader »
Interrogé par Robin Tutenges, Alexandr, skateur ukrainien de vingt-quatre ans, raconte : « L’Ukraine est comme une prison dont on ne peut pas sortir, et Kiev est ma cellule. Seul le skate me permet de m’évader« . S’évader et survire, ça a toujours fait partie de cette pratique. Issu de la culture surf, et apparu au début des années 50 dans l’ouest des États-Unis, puis popularisé en Californie dans les années 60, le skate s’est retrouvé progressivement associé à une mentalité punk : c’est la bande de copains qui bousculent à coups de bêtises les limites du système…
Il n’y a presque qu’à citer la devise du très célèbre magazine Trasher : « Skate and Destroy ». Un exutoire pas très Poutine-compatible et terriblement précieux pour ces jeunes ukrainiens qui n’ont plus grand-chose à attendre de l’avenir : « Qu’est-ce qu’il nous reste quand on regarde devant nous ? Notre horizon, c’est le néant. Alors, on fait du skate, c’est ça, notre seul horizon.«
“On asphalt we grow”, un regard immanquable
“On asphalt we grow”, c’est à voir absolument, et en vrai, puisque les photos de Robin Tutenges (lauréat du Prix de la presse diplomatique 2021) sont exposées au Centre Photographique Marseille jusqu’à samedi prochain, le 18 janvier, puis au Centre Claude Cahun de Nantes, du 5 février au 30 mars.