La tempête sous un bol de saké : Yasujiro Ozu va réapparaitre sur nos écrans.
Le cinéaste japonais Yasujiro Ozu va réapparaitre sur nos écrans, puis à la cinémathèque française. La plupart des réalisateurs l’admirent, mais aucun n’oserait faire ce genre de film.
Le travail d’Ozu rappelle celui d’un musicien. Un compositeur versé dans les préludes, sonates, adagios dont le tempo serait toujours : moderato…Lenteur, plans fixes et délicatesse des sentiments sont ses armes. Ni cris, ni violence. On est loin de l’Amérique !
Car avec Fleurs d’équinoxe, premier film couleur du maitre (et son 48ème film !), on est en 1957 et le Japon vit occupé par l’armée américaine. Soit un peu plus de dix ans à peine après les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki…( Ozu a commencé à tourner en 1927)
Et si les Japonais acceptent l’américanisation de la mode et du design (les looks et décors sont des modèles du genre), et le style général occidental moderne, leurs traditions sont encore bien là : politesse, effacement, discrétion, rituels et autres rigueurs nippones.
Film sur la fin des mariages arrangés, Fleurs D’Equinoxe permet à Ozu de cerner les contradictions et les nostalgies de l’ancien empire du soleil levant.
Les portraits de femmes sont particulièrement subtils dans cette période de transition. Elles sont les fleurs d’équinoxe, rouges, muses des poètes, poussant près des cimetières (comme les coquelicots ?) peut-être parce qu’elles vont enterrer les traditions…
Lorsque la scène se passe assise (agenouillé à la japonaise), Ozu tourne au ras du sol avec des personnages dont la position rappelle celle de certains bouddhas ; des cadres composés pour l’immobilité et la retenue.
© 1958/2013 Shochiku Co., Ltd.
Si vous n’en pouvez plus des effets spéciaux, des montages déchiquetés et des bruits et hurlements inutiles que le cinéma US déverse sur nos têtes, alors Ozu est pour vous : recueillement et concentration = zen !
Je ne suis pas pour changer notre nature inquiète d’Occidentaux, mais pour la gymnastique de l’esprit : se tremper dans les émois japonais, leurs émotions fines, mais profondes, leurs émois contradictoires, leurs envies de perfection et leur nostalgie rêveuse.
Ozu (décédé en 1963) était si maniaque, qu’ en plus des tenues admirables, il choisissait les tissus d’ameublement des décors ! Et même s’il décrit un déclin d’identité nationale, il le montre méthodiquement, sans ressentiment, comme un constat élégant.
On voyage sans s’ennuyer, on glisse sur un courant continu, sans « à coup » ; c’est tout l’art d’Ozu de nous emmener plus loin que prévu, presque à notre insu, en nous berçant d’images apparemment lisses et calmes, mais qui abritent nos drames humains.
Trop de politesse, d’a priori et de retenue empêche les êtres de se dire qu’ils s’aiment, qu’ils se comprennent, partagent les mêmes doutes et subissent les mêmes demandes affectives souvent frustrées.
Le cinéma atteint rarement cet art, cette mesure et ce tempo si réussi entre silence et action, avec des rôles si complets, si riches, avec une telle économie… Les hommes semblent regarder en eux-mêmes, tandis que les femmes pétillent sous la coquille conservatrice.
Si loin de nous en apparence … mais ne vous y trompez pas.
Fleurs d’équinoxe de Yasujiro Ozu ( 1958) Couleur . 117mn
Au cinéma à partir du 22 janvier en version restaurée inédite. Puis du 23 avril au 25 mai à la cinémathèque. Bonjour et Fin d’automne seront disponibles à partir du 7 mai.