Dans la grande famille des -très- grands festivals d’été dans le monde, il y a les Coachella, Glastonbury, Dour, Les Eurocks,… Et puis au Canada, il y a Osheaga. 15ème anniversaire.
On a testé pour vous.
Un festival au nom étrange, Osheaga, qui serait le résultat de l’un des nombreux malentendus linguistiques et culturels entre les Européens et les peuples des Premières Nations, aux multiples versions que je vous laisserez vérifier. Il naît il y a 15 ans et a enfin retrouvé son envergure cette année. Déjà presque 25 000 spectateurs en 2006, on en est à près de 130 000, une belle avancée pour cette immense aire de jeu et de live aux ambiances un peu spring-break sur le Parc Jean Drapeau à Montréal.
Six scènes, des espaces pour tous les goûts ou presque, un “food-court” en plein air, des manèges (!), des stands, des salons, à Osheaga on ne parle pas seulement de concerts, mais de “l’Expérience Osheaga”. Entre deux volutes de pot (et oui ici c’est légal on le rappelle) et deux vendeurs ou vendeuses de bières à la volée “bièèère froide, cold beeeeer!” ; ici tout sera fait pour que vous passiez une fin de semaine mémorable. Et même si on est parfois impressionné et interloqué par les lignes (en bon québécois) interminables pour faire des photos devant les grandes lettres peintes “Osheaga”, ou devant l’un des deux salons de maquillage et beauté du festival (véridique), reste que trois jours à Osheaga c’est effectivement une expérience en soi.
Quant à la programmation, là on s’attaque à plus d’une centaine d’artistes et groupes sur trois jours. De quoi faire dans l’enchaînement non-stop de shows dès 14h sous un soleil de plomb.
Évidemment dans les têtes d’affiches on regrettera les annulations de Foo Fighters suite au décès de Taylor Hawkins. C’est Arcade Fire, revenus dans leur ville d’adoption qu’est Montréal qui les remplace. Alors que pour A$AP Rocky, les ennuis avec la justice l’ont empêché de mettre le pied au Canada, remplacé par Future.
Depuis 2006 avec Sonic Youth en première tête d’affiche, le festival a évolué, s’est transformé même, au gré des genres et des styles. Moins alternatif, plus pop, mais toujours un immense buffet musical sur lequel on trouvera de quoi se caler l’oreille creuse.
Et on y retrouve pas mal d’artistes que vous écoutez déjà sur Nova.
Un Freddie Gibbs qui, après nous avoir fait un peu attendre, enchaîne les titres, fait du a capella et enclenche un pogo (ou un moshpit ici).
Un Slowthai qui, comme tous les rappeurs du festival ou presque finalement, enchaîne lui aussi les titres, sans jamais les faire en entier, plutôt rageur torse nu avec ses bouclettes. Et surtout qui nous a rappelé à quel point on ne plaisante pas avec la com en Amérique du nord. Il a en effet dû faire des excuses à son public offensé (et confus) qui a mal interprété le t-shirt avec lequel il est arrivé sur scène. On pouvait y voir une croix gammée rouge avec le mot Destroy au dessus, design de Vivienne Westwood et Malcom McLaren pour les Sex Pistols en 1977. Antifasciste s’il en est, mais il aura fallu le clarifier. Remarquez que le t-shirt tombera bien vite pour ses muscles tatoués.
Pour le psyché c’est le trio texan Khruangbin qui s’est chargé de nous faire planer un peu. On y retrouve un peu moins de voix, de finesse et d’arrangements que sur disque. Mais on y gagne en efficacité. Pas détours, ils sont là et ils préviennent “ne vous attendez pas à beaucoup de parole, on veut juste jouer de la bonne musique.” De la bonne musique en effet avec quelques envolées de guitare de Mark Speer, qui va même jusqu’à intégrer des petits bouts de tubes des années 80 et 90 comme le “lalali lalala” de Crystal Waters dans Gypsy Woman, sans doute passé inaperçu, mais on nous la fait pas.
Il y a eu aussi le flamboyant australien Genesis Owusu qui a eu la tâche d’ouvrir le troisième jour. On espérait un groupe complet comme il le présente à l’occasion, mais on a eu plutôt droit à une version sur bande, les musiciens étant troqués pour trois danseurs aux costumes aussi étranges que celui d’Owusu, ou plutôt ceux, avec notamment des mains sur les épaules. Mais on le connaît, même tout seul, il est spectaculaire et il place la barre assez haute pour les suivants sur la scène verte.
Burna Boy a aussi chauffé la foule à blanc. Et quand le Nigérian nous demande “You ready to go home?”, la réponse se fait en sueur, c’est non. Avec son groupe (lui), il nous montre à quel point il est passé maître dans l’art du mélange afrobeat, hip hop et reggae et c’est bon, on aimerait ne pas le laisser partir seulement voilà, à Osheaga c’est comme ça, à 23h c’est terminé.
La caution french touch de l’année, qui a plus de succès en Amérique du nord que chez eux, c’est Polo et Pan. Et je dois dire que, ne les ayant pas encore vu en live (oui je sais, ça va !), c’était plutôt satisfaisant et surtout cute, comme on dirait ici(tte) : “J’ai besoin que vous vous asseyez avec moi, pour ceux qui veulent hein, vous êtes pas obligés” : cute. On est sur du bon DJ set avec la voix de Victoria, en oscillant tranquillement entre les tubes Canopée et Ani Kuni, dont l’origine : une comptine amérindienne, fait sont petit effet de ce côté de l’Atlantique. Et puis des passages plus techno, bienvenus qui montrent autre chose du duo formé par Paul Armand-Delille et Alexandre Grynszpan. Et il semble le savoir qu’ils sont en terrain conquis. Ils vont beaucoup parler à leur public : “Presque dix ans qu’on fait de la musique ensemble. (…) Six fois qu’on vient à Montréal, et c’est magique à chaque fois.”
Bien sûr, il y a les locaux, Safia Nolin, bien plus rock que ces disques peuvent peut-être laisser penser. Les Louanges qui régale comme toujours avec une énergie presque suspecte mais transpirant de sincérité. Robert Robert, certainement l’un des Québécois à suivre ! Ou encore Pierre Kwenders ou Geoffroy, tout aussi bons dans le cadre bucolique et aquatique du Festif (lire : Le Québec en mode Festif), que sur les grosses scènes d’Osheaga.
Et puis mes deux préférés, les enfants prodigues anglais. D’abord celles (et ceux) qui ont provoqué l’un des cris de public les plus fort et aimant que j’ai jamais entendu, les très attendus Wet Leg. Le duo féminin de l’Île de Wight, accompagné par son batteur et son bassiste, était attendu avec impatience après un premier album impeccable, paru plus tôt cette année. Et la magie opère aussi en live. Avec leur petite voix douces et fluettes, presque timides lorsqu’elles nous parles, Rhian Teasdale et Hester Chambers nous montrent que le tatapoum anglais est loin d’être dépassé. Wet Leg était l’élu des mélomanes indés de cette édition. Pour leur tout premier show au Canada, le public est déjà à leur pied et ils l’ont bien montré en chantant les paroles par cœur jusqu’au dernier morceau qu’on attendait tous : Chaise Longue.
Enfin, boudant un peu Dua Lipa qui clôture le festival sur l’une des deux grandes scènes, je lui préfère le live plus intimiste et fou de IDLES.
Un concert qui n’est pas une suite de morceaux (comme beaucoup d’autres ici malheureusement) mais bien plus que ça, avec une intro longue, une montée en puissance qui nous dit “si vous êtes là, avec nous, soyez-le à fond !”.
Dès le second morceau, le ton est donné, IDLES n’a rien à prouver et va nous offrir un moment qu’on est pas près d’oublier. Du punk, barré, inattendu, post-rock impeccable, “Enchanté Montréal ! Bisous bisous !”, et on y est. Il sont fous sur scène, de la folie professionnelle et jouissive, avec un Joe Talbot qui court sur place, tourne littéralement en rond sur lui-même et vient nous chanter/hurler ses chansons d’un air sérieux et déterminé, le pied sur le retour.
Et c’est pas parce qu’il a l’air presque fâché qu’il ne montre pas d’amour pour un public réduit mais aux anges. Lorsqu’un type lui demande à répétition de venir dans le public (après tout les deux guitaristes ont slamé eux), Joe Talbot n’en démord pas, il ne viendra pas “Unless you say fuck the Queen!”, dit-il, et ça devient une blague à répétition. “I love you ! But I’m not coming in the crowd ! I’m working here !”
Du grand art et les meilleurs au-revoir à ces quinze ans de Osheaga, c’est Talbot qui les dira, lui qui sait parfaitement où il est : un anglais au Canada, “Long live the immigrants ! Long live you !!”
J’ajouterai, Long live Canada !