Les chroniques d’Usbek & Rica #11.
Pour ceux qui ne seraient pas au courant, l’équipe de France de football s’est qualifiée mardi soir pour la coupe du monde de football en juin prochain au Brésil en battant l’Ukraine 3 à 0, alors qu’elle avait perdu vendredi dernier 2 – 0. Tout à coup, alors qu’hier tout le monde se détestait, soudainement, les gens ont un petit sourire aux lèvres, ils ont envie d’embrasser leur voisin, ils arrêtent de tout dénigrer en ricanant, peut-être même qu’ils se trouvent beaux et qu’ils sifflotent la marseillaise dans l’ascenseur.
Comme si, d’un coup de baguette magique, on effaçait les vieilles rancœurs et qu’on avait à nouveau de partir en vacances tous ensemble. Quand on n’aime pas le foot, c’est difficile à imaginer qu’un simple match produise ce genre d’effet, mais croyez moi : ça faisait longtemps qu’on n’avait pas kiffé comme ça. C’est dingue, mais ça s’explique : l’histoire du foot français, c’est presque l’histoire de France. Souvenons-nous de 1982, la défaite contre l’Allemagne.
Le journaliste Pierre-Louis Basse a écrit un très beau livre là-dessus, Séville 82, dans lequel il comparait la défaite tragique des bleus avec les reniements de la gauche au pouvoir. Pour lui, cette défaite signifiait la perte d’une certaine innocence, l’entrée dans un monde dur, brutal, pas beau, où l’idéal de transformation du monde se heurtait à la loi de la jungle. 1998, c’est l’inverse : la France devient winneuse. Tout le monde descend dans la rue et fraternise. On a l’impression qu’on va s’aimer pour toujours, que c’est la fin de l’histoire. En 2000, c’est presque mieux : on gagne hors de nos terres ! Mais depuis, c’est la descente aux enfers. On met tout en œuvre pour se détester et en plus on aime ça. C’est la coupe du monde 2010, la grève des joueurs, la génération Ribéry-Benzema, considérés par l’opinion comme des caïds qui, quand ils ne refusent pas de descendre du bus pour s’entraîner, se tapent des putes ou insultent les journalistes. C’est dingue, mais ça s’explique.
L’histoire du foot français, c’est presque l’histoire de France.
L’équipe de France ne joue plus au football, elle agrège les peurs, la haine de soi, de tout un pays. Et quand on demande à l’entraîneur Didier Deschamps de commenter un sondage qui dit que 84% des Français n’aiment pas l’équipe de France, il répond : « vous connaissez des domaines où les gens sont contents de quelque chose ? ». Pas con, Didier.
C’est comme ça, on n’y peut rien : le foot, en France, ce n’est pas du sport, c’est de la politique. Mais maintenant qu’on s’aime tous à nouveau, qu’est-ce qui va se passer ? Va-t-on va gagner la coupe du monde ? Je ne suis pas voyant, donc pas de pronostic. La question serait plutôt : qu’est-ce qu’il faudrait qu’il se passe pour que ça dure ? Quelques conseils :
- Que les joueurs redeviennent sympas. Qu’ils se mettent à sourire, qu’ils prennent exemple sur le héros de mardi soir, Mamadou Sakho. Montrer qu’on est content, c’est pas grave, ça ne tue personne. Regardez l’équipe de France de basket !
- Que Deschamps ait du courage : qu’il ne fasse plus jouer des mecs qui confondent leur compte en banque avec leur talent. Non, Samir Nasri, tu n’es pas bon, tu es riche. Nuance.
- Que Ribéry n’ait pas le ballon d’or. Ce serait pire que tout. Ribéry ballon d’or, et vous pouvez être sûr qu’on ne passe pas le premier tour au Brésil.
- Qu’à défaut d’une star qui porte l’équipe, comme avant, il n’y ait plus de star. C’est fini le temps des sauveurs.
- Qu’au Brésil, surtout, on ne gagne pas en finale ! Mais qu’on fasse un super parcours, et qu’on perde en demi finale contre l’Allemagne de façon injuste. Ce serait le retour à la normale, on arrêterait de penser à l’âge d’or, quand Zidane était là (parce que la finale contre l’Italie, tout le monde sait bien qu’on ne l’a pas vraiment perdue. Sans le coup de boule, on était champions. Donc ça ne compte pas)
- Mais surtout, ce qu’il faudrait, c’est que tout le monde arrête d’instrumentaliser l’équipe de France. Que Hollande arrête de dire : « on voit bien qu’il faut croire en l’équipe jusqu’au bout, et surtout en son entraineur ». C’est cramé, François, c’est ridicule. Mais qu’on arrête aussi de se servir d’elle pour désigner des coupables. En fait ce qui serait super, c’est qu’on arrête de penser qu’une victoire va tout résoudre et qu’une défaite c’est la fin du monde. Dans un pays qui va bien, on est content quand on gagne et un peu déçu quand on perd. Ce qui serait vraiment bien, c’est que le foot reste du foot et la politique de la politique.
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