La chronique de Jean Rouzaud.
Panaït Istrati, auteur maudit ? Découvrir si tard un auteur aussi unique montre bien dans quel monde nous vivons. Car, comme d’autres penseurs errants, Israti (1884 -1935) écrivain tardif et récalcitrant, se retrouve inconnu du grand public…
Ce roumain exceptionnel (de père pirate grec !), véritable routard avant l’heure, surnommé le « Gorki des Balkans » raconte sa vie d’ouvrier, de journalier autour de la Méditerranée, avec une verve et une humanité rare, dans un flot de lumière lyrique.
L’ancêtre des clochards célestes…
On est emporté par sa misère et son humour, apprenant mille et une chose sur le début du XXe siècle, mais aussi par son obsession d’être droit, juste, honnête, de ne jamais profiter de rien ni de personne, passion morale inhumaine, qui lui valent pas mal d’ennuis.
Son amour des pauvres, des déshérités, des condamnés dont il veut faire partie, paraît complètement incongru aujourd’hui, surtout dans les pays ou l’individualisme fait rage !
Il me fait penser à Henri Miller, voyageur littéraire, veillant à sa survie, ancêtre des la Beat Generation, mais en beaucoup moins vorace.
On pense aussi à Albert Cosky, entre Égypte et France, écrivain rêveur et fainéant , opposé à toute attache, ennemi juré du travail, comme Israti, mais ce dernier travaille comme un esclave pour manger !
Les péripéties de sa grande tournée méditerranéenne entre 1905 et 1925 Sont proches d’un récit des mille et une nuits, jamais achevé, passant de la pauvreté au luxe, des privations aux excès, mais aussi du désespoir au bonheur exalté…
Son adoration pour la Méditerranée et les peuples des Balkans nous balade dans ce qui fut des paradis : Alexandrie, Port-Saïd, Le Caire,
Constantinople, Smyrne (Izmir…) Ces lieux furent riches grâce aux passages permanents, au brassage des populations, aux navires marchands et touristiques…
Il nous décrit le paradis des côtes libanaises ou turques, ou les pins, les cyprès, les cèdres descendent jusqu’à l’eau : violette et somptueuse !
Les cafés turques, le cabarets et même des lieux de spectacles d’alors, cosmopolites, invraisemblables mais véritables, paraissent enchantés, malgré la domination turque et les injustices sociales.
Et justement, après un succès mérité, cet écrivain à part, un peu fou, aux opinions presque incompréhensibles, et qui fut tout d’abord encensé par les socialistes et communistes pour sa description compassionnelle des classes les plus basses : journaliers, prostituées, opprimés… Va se voir abandonné et critiqué pour sa tolérance poétique, son apolitisme !
Car Israti ne veut détenir aucune vérité, ignore la politique et toute idée de militantisme ou de revendication… Il sera jugé traître à la classe ouvrière, irresponsable et même raciste (lui qui n’a vécu qu’au milieu d’arabes, juifs, orthodoxes et païens …) !
Enfin, il me fait penser à un autre martyr : le cinéaste géorgien Serguei Paradjanov, dont les images de films magiques illustrent les légendes géorgiennes, arméniennes, azerbaidjanaises, ukrainiennes…
Censurées par l’union soviétique, opposée à tout régionalisme.
Ces hommes de feu, n’obéissant qu’à leur sens de la beauté, de la vérité, et d’un peu d’humanité, resteront donc toujours ostracisés ?
Lisez et vous voyagerez dans ce qui n’est plus. Panaït Istrati. Méditerranée. Lever du soleil et coucher du soleil. 300 pages. Éditions l’Échappée. Sortie le 17 mai 2018 (chez le même éditeur, deux autres textes : présentation des Haidoucs. Un chardon déraciné.)
Visuel : (c) Éditions l’Échappée