Sa créatrice Anaïs Bourdet a annoncé dimanche qu’elle jetait l’éponge.
Depuis 2012, le blog Paye ta shnek publie les remarques sexistes que subissent les femmes au quotidien. Le 24 juin, Anaïs Bourdet, à l’origine de ce blog, a annoncé tirer sa révérence. Armel Hemme lui a passé un coup de fil.
Anaïs Bourdet, les agressions que vous avez inlassablement répertoriées et publiées, sont le fait d’hommes jeunes ou vieux, aisés ou pauvres.
Anaïs Bourdet : Les 15 000 témoignages que j’ai reçu le démontrent de façon très précise. Les harceleurs ont tous les profils possibles et inimaginables. Il n’y a pas de sociologie du harceleur dans l’espace public. C’était un cliché que j’avais à cœur de défaire : que l’on n’attribue pas ce comportement à un profil d’homme particulier et stigmatise des hommes qui le sont déjà beaucoup.
Vous avez décidé hier de fermer Paye ta shnek. Le Tumblr pourra toujours être consulté, mais ne sera plus mis à jour. Pourquoi ?
Anaïs Bourdet : En 2019, je trouve ça de moins en moins pertinent d’être encore sur du recueil de témoignages, alors que ça fait des années que la parole est libérée et que les choses ne changent pas. En sortant samedi soir, mes amies et moi avons été agressées cinq fois en moins de quinze minutes. On peut donc constater très concrètement que le problème ne s’améliore pas. Alors il faut passer à la vitesse supérieure, car témoigner ne suffit plus. J’estime qu’il faut aller plus loin. Moi, je me sens trop fatiguée à l’heure actuelle pour me charger de l’étape suivante.
Le recueil de témoignage est de moins en moins pertinent en 2019, dites-vous. Alors que faut-il faire contre le harcèlement de rue, selon vous ?
Anaïs Bourdet : Il faut que les pouvoirs publics s’emparent du sujet. Ça fait des années que je dis qu’il faut faire de l’éducation pour arrêter de fabriquer ces comportements. Pour l’instant, on essaie de faire de la répression, qui ne marche absolument pas, donc il faut prendre le problème à la racine et éduquer activement à l’égalité. On laisse les inégalités s’installer dès l’école maternelle, alors il l faut faire un vrai plan d’éducation à l’égalité, mais sous toutes ses formes, pas seulement le sexisme, mais aussi le racisme et l’homophobie.
C’est comme un pansement sur une plaie béante
Le gouvernement s’est quand même penché sur la question du harcèlement de rue, avec une loi sur les outrages sexistes.
Anaïs Bourdet : Oui, avec une proposition de verbalisation, à laquelle j’étais opposée quant le projet a été présenté, parce qu’il pose plein de problèmes. Les chiffres sont pour l’instant très calmes, nous n’avons pas eu beaucoup de verbalisations, car les harceleurs n’agissent pas devant la police. Ça pose aussi le problème du contrôle au faciès et du profilage racial. C’est comme un pansement sur une plaie béante : on essaye de punir des hommes qui sont déjà des harceleurs, mais on ne se pose toujours pas la question de : « comment se fait-il que cette société produit autant d’harceleurs, d’agresseurs et de violeurs ? » Tant qu’on ne se pose pas cette question-là, ça n’avancera pas et il y aura toujours autant de personnes dangereuses dans notre société.
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