La chronique de Jean Rouzaud.
Le Musée du Quai Branly ressort de ses réserves plus de deux-cents toiles restaurées représentant les continents lointains : Afrique, Asie, Amérique et Iles. Exotisme à tout va, belles images, et vision du monde plutôt idyllique.
Complexe des colonies ?
Et, curieusement une certaine gêne, bien française , sur ce « complexe des colonies », fils naturel du politiquement correct et d’un gauchisme tardif, réactivé par l’hypocrisie des regrets.
Le bon sauvage de Rousseau, pur et libre, la nudité des primitifs vantée dans Abélard et Héloïse, et toutes les odes aux « ailleurs », depuis l’Odyssée d’Homère jusqu’à Paul Gauguin ou Pierre Loti, en passant par Tintin ou les Révoltés du Bounty…
Toutes ces peintures charmantes et colorées nous montrant des annamites, des rois africains ou arabes, ou des indiens dénudés furent l’ imagerie de la colonisation galopante qui agitait Angleterre, Espagne, Hollande, Portugal et France…
Mais ce ne sont ni les comptoirs, ni les ports, ni les troupes armées, ni les fortins qui sont représentés, mais bien les habitants, l’indigène pur, dans sa nature exubérante ou désertique.
Comme s’il fallait déclarer beau, idéal, élégant, cet habitant que l’on allait utiliser…et son habitat, ses costumes exotiques et raffinés, son panache et sa noblesse naturelle.
L’affiche de l’exposition a des airs de « bateau ivre descendant des fleuves impassibles, que les haleurs ne guident plus…» de notre Arthur Rimbaud national, qui lui aussi ira faire du trafic d’armes entres Oman et Mer rouge, dans la lointaine Éthiopie où il s’épuisera.
Les pays avec des côtes d’où l’on pouvait contempler l’horizon ne purent résister à aller voir partout, et, de conquête en installation, rafler tout ce qui était possible, fascinés quand même par un décor et des êtres d’un genre « autre », dont l’évidente beauté hantait leurs fantasmes.
Reste que le plus grand territoire fut conquis sur les mers par les Maoris, ces lointains Polynésiens qui visitèrent en pirogues jusqu’à l’ Ile de Pâques, Hawaï ou Tahiti…Un territoire immense, quantité d’îles désertes qu’ils occupèrent sans bruit. Mais ils furent oubliés, puisque envahis, et aujourd’hui ce sont leurs tatouages qui colonisent le monde !
Cet exotisme qui attirait tant les grands coloniaux, est une fièvre naturelle à l’homme. Aller voir ailleurs, se gaver d’images, de nourriture et d’objets artisanaux, ou de parures lointaines, comme la preuve que l’on «y a été « , est un rêve éternellement renouvelé.
Les Beatnicks et Hippies firent « la route », et le tourisme de masse d’aujourd’hui correspond au même rêve : voir, rêver, s’oublier, croire que les voyages peuvent nous sauver, nous purifier.
Qui sont les sauvages ?
Reste que les images (plus des illustrations que de vraies peintures..) sont un témoignage de « comment c’était ». Les orientalistes ont fait un travail de costumes et de détails poussés, les peintres devenus documentalistes… bien avant de poser les questions en ethnographes.
La photo a flingué ces images, puis le cinéma a tenté de reconstituer ces décors façon Hollywood, alors il n’y a pas de honte à regarder ce théâtre des peuples des origines, ces habitants premiers des continents, et ces civilisations écrabouillées par les pays dits civilisés.
Dans la première version d’Actuel (1970-75) nous avions titré en couverture, sous une gravure de chaman fantaisiste colorisée : « qui sont les sauvages ? »
Alors, eux ou nous ?
Peinture des lointains. Collection du Musée du quai Branly – Jacques-Chirac. Du 30 janvier 2018 au 6 janvier 2019. 220 œuvres restaurées.