Cette année, l’hôtel 5 étoiles Les Bains ouvrait ses portes du 7 au 9 mars pour un festival gratuit avec une programmation composée d’artistes émergents. On y était, on vous raconte.
Vendredi 8 mars, vers 20h : la longue nuit pailletée qui attend les fêtards ne fait que commencer. Une petite foule se presse devant le numéro 7 de la rue du Bourg-l’Abbé, une petite rue non loin de Châtelet : Les Bains. Une statue du visage de Bacchus — le Dieu de l’ivresse chez les Romains — surplombe la façade finement ouvragée de l’Hôtel ; le ton de la soirée est donné.
« Bienvenu aux Bains » : un videur ouvre la porte, et un damier noir et blanc très art déco nous accueille. Parmi le cocktail de trentenaires et jeunes branchés dans l’entrée, plusieurs regardent avec de grands yeux le décorum qui les entoure. C’est donc ça que ça fait d’être dans un 5 étoiles.
Il faut dire qu’en plus d’être très classe, Les Bains est un lieu d’histoire(s). Dans les années 70 et 80, ce qui était alors Les Bains Douches était un lieu mythique de la nuit parisienne. Joy Division pour un live culte, Depeche Mode pour leur premier concert en France ou Prince pour des aftershows de deux heures, de nombreux grands noms de la musique y ont circulé. Sans compter bien sûr les générations de fêtards passés y vivre leurs nuits.
« Quel autre hôtel organise un tel festival ? »
Le lieu avait fermé ses portes en 2010 à cause d’un arrêté administratif, après que l’ancien propriétaire, Hubert Boukobzo, ait détruit des murs porteurs, menaçant le lieu de s’effondrer. « Ça me tenait à cœur de sauver le soldat Bains Douches », explique Jean-Pierre Marois, l’actuel propriétaire : c’est à sa famille qu’appartient le bâtiment. Si respecter l’héritage du lieu est important pour lui, il ne s’agit pas de tomber dans la nostalgie, mais plutôt de continuer l’esprit qui faisait de ce club en un endroit si iconique. De grandes rénovations donc, avec une conversion en hôtel et l’ouverture d’un restaurant, le Roxo. Le club est bien sûr toujours là. « C’est un endroit de brassage où il y a des gens de toutes les générations. Il y a des quadras, voir des quinquas, mais aussi des gens de 18 ans. ». C’est tout le but de ce Festival : mélanger les publics, brasser les corps, et les goûts aussi, et découvrir des artistes émergents dans un lieu unique.
Slimane Hadj-Smail, le responsable de l’expérience client de l’hôtel, abonde dans ce sens : « On a plusieurs clientèles différentes pour le club, l’hôtel et le bar. En plus de la nouvelle qui vient pour le festival. » Le but : leur faire ressentir quelque chose, leur faire vivre une expérience. Trois jours non-stop de festivités qui ne sont pas de tout repos. « On ferme le club le dimanche à 4h30 du matin, et on a les premiers check-out à 6h. Donc, on a une heure pour nettoyer et que tout l’hôtel reprenne un cadre plus classique à la fin du week-end. C’est une contrainte psychologique, mais aussi une joie quotidienne : quel autre hôtel organise un tel festival ?« .
Baby I’m a Star
Une petite porte discrète près de l’entrée ouvre sur les escaliers qui mènent au premier étage. « La moquette est une reproduction de celle qu’avait choisie Gainsbourg » explique-t-on à propos du motif floral qui orne les marches — le chanteur était un habitué, à l’époque. Direction le coin des artistes, un peu comme la salle de profs où on a toujours rêvé d’entrer, mais en mieux.
C’est ici que les artistes qui font résonner Les Bains trois jours durant, se préparent, décompressent — ou mangent, tout simplement — au buffet plutôt garni (il y a du morbier !). «Cause I’m A Man» de Tame Impala résonne en fond : ambiance chill et psychédélique. Des photos de David Bowie et autres grands noms de la musique ornent les murs.
Ce samedi soir, on pouvait y croiser Blond, Anna Kova et Full Green, Leone, ou encore Hélène Sio. Des noms qui ne vous parlent peut-être pas ; on en reparle dans quelques années. Hélène est là juste avant son concert, avec le grand sourire, assuré, de celle qui se prépare à entrer en scène.
« Ça fait un an et demi que je fais de la musique. » Une passion soudaine ? « Enfin, avant, j’ai fait 10 ans de conservatoire ». De solides fondations, plutôt. « Je n’ai que deux sons qui sont sortis ». Ah oui, le show va être court alors ? « Le concert dure une heure, donc ce sont quasiment que des inédits ». On ne risque pas de s’ennuyer, en fait. « On a fait un Trois Baudets : sold-out. Un mois et demi après une Boule Noire : sold-out. Un Café de la Danse deux mois après : sold-out ». « You might not know it now/ Baby, but I are, I’m a star » disait Prince ; des mots appropriés à la situation.
Hélène est une habituée des lieux, mais c’est la première fois qu’elle y chante. « J’aime beaucoup la vibe de la famille des Bains« . Être bien entouré est capital pour elle, carrière musicale rimant essentiellement avec amitié : « J’avais vraiment envie de m’entourer de gens qui puissent s’asseoir exactement à la même table, qu’on soit 20 à la même table et que tout le monde s’entende bien. »
Un show vaut mieux que mille mots : direction la partie club des Bains, pour son concert. Une fractale de lumière nous accueille en descendant les escaliers, nous éblouit même. Une légère odeur chlorée aussi : les fameux bains, à droite de l’entrée. La salle est comble, doucement éclairée par les reflets bleutés des nombreuses boules à facette qui pendent au plafond.
Le fameux club des Bains, monté sur un système qui permet de ne rien entendre depuis l’extérieur — et donc permettre aux fêtards de danser sans réveiller les autres. On sent les 10 ans d’opéra dans la voix d’Hélène, qui captive le public. Quelqu’un lève son téléphone, qui affiche un cœur à destination de la chanteuse ; sourires complices. La section instrumentale est carrément douée, avec une basse bien épaisse et une guitare qui alterne entre moments aériens et approche plus rythmique. Mention spéciale au jeu de lumière aussi, qui parvient à mettre simultanément en valeur les musiciens et le lieu, sans en léser aucun.
« Une clientèle jeune, pleine d’avenir. Personne n’est blasé ! »
De retour dans la loge. Au détour du buffet, Théo Athlani, l’un des organisateurs de la soirée, s’hydrate un peu. « C’est vraiment par passion qu’on fait tout ça » : ça se voit, il est marqué par cet épuisement euphorique que connaissent bien les gens qui sont déjà allés en festival. « En toute transparence, c’est un projet sur lequel on ne gagne pas d’argent, notre économie est ailleurs ». Pourquoi le faire, alors ? « On a fait le choix d’être un festival d’artistes émergents et de le revendiquer. Le public vient pour découvrir des artistes, pour découvrir le lieu aussi, vivre une expérience ». Vivre une expérience, encore. La sienne, c’est celle de découvrir, de sélectionner des artistes, de choisir ceux qui vont correspondre le mieux au lieu. « Pendant trois jours, on ne s’arrête pas, il y a toujours ces moments d’adrénaline« .
Depuis tout à l’heure, quelqu’un s’affaire à travers la pièce, débarrassant les assiettes, répondant aux demandes des convives, sans perdre son sourire. C’est Marc, le majordome qui officie au Festival depuis trois ans. « C’est avant tout une vocation, celle d’aller vers les gens » explique-t-il lorsqu’on lui demande de parler de son métier. « Il ne faut pas le subir ». Être humble, empathique, aimer faire plaisir sont autant de qualités qu’il revendique, qui peuvent s’observer tout au long de la soirée si on est attentif. On sent également une réelle affection envers le public du festival : « C’est une clientèle jeune, pleine d’avenir. Personne n’est blasé ! » ; ses yeux pétillent. Le devoir le rappelle bien vite cependant, et notre interview s’arrête là. Sans lui, la fameuse expérience des Bains serait probablement moins agréable, et certainement moins humaine. C’est peut-être Marc la plus grande star dans cette pièce.
Redescente (au club), cette fois pour le concert de Sasha. Et franchement très bonne surprise. Énergie de fou, ça se voit qu’elle prend plaisir sur scène. Et le public lui aussi est à fond, l’énergie est communicative : difficile ne pas fredonner le refrain en chœur, même sans connaître les paroles (belle prestation de yaourt de notre part). Un petit fauteuil aux motifs léopard trône au centre de la scène. « Tapis Lépoard, c’est mon album qui vient de sortir !« . On ira regarder.
Apothéose
On finit la soirée en haut, dans la magnifique salle du Roxo, habituellement restaurant, transformée ce soir en piste de danse. C’est sous son plafond rouge et texturé que le collectif La Boom balance un DJ set 100% zinzin. Pile dans le sweet spot entre mauvais goût style soirée mariage et sélection méticuleusement choisie pour balancer un max de dopamine. Résultat : la foule est folle, et nous avec. Franchement, danser sur du Dalida dans un 5 étoiles, c’est en effet une expérience inoubliable pour conclure notre reportage…
…non c’est pas vrai, on a tellement kiffé qu’on est de retour une deuxième fois le lendemain, samedi 9. Cette fois, difficile d’apercevoir le damier du sol en entrant, Les Bains sont bondés (allitération).
Yuksek est aux platines, dans le club remplis à ras bord. Trois personnes au mètre carré au moins, et les percussions brésiliennes qui sortent des grosses basses pour faire trembler l’endroit. L’espace d’une demi seconde, les lumières éclairent l’ensemble de la pièce. Et soudain, on réalise. Ces sourires en harmonie, tous ces gens qui ne se connaissaient pas hier, certains habitués et friqués, d’autres non. La sueur qui perle sur tous les fronts, le groove qui fait trembler chaque corps. Ça y est, on comprend ce que voulait dire Slimane lorsqu’il parlait de « faire vivre une expérience ».