À Brest, ce musicien à géométrie variable entrevoit la réalité quotidienne d’une dystopie transhumaniste « à la perfection glaçante », dictée par les algorithmes.
Il est assis sur un très vieux vélo d’appartement, en plein air, dans un jardin au soleil. Et pédale avec énergie, en fredonnant l’une de ses dernières chansons, composée lors du premier confinement pour accompagner les vacances d’été et baptisée, en toute logique, Holidays. Mais quelque chose cloche, dans ce surplace. La guitare cold wave, mélancolique et gelée. Les paroles qui demandent, en anglais : « Où iras-tu perdre ton temps ? » Le regard inquiétant, les sourcils froncés, l’absence de sourire. Et le faux décor de banlieue pavillonnaire ajouté au montage, qui défile à toute vitesse derrière Peter Triangle. Houston, on a un problème.
Bienvenue dans la dystopie du nouveau projet rock « un peu con-con, un peu flippant » de ce musicien brestois à géométrie variable, que nous avions connu, jadis, sous le nom chatoyant de Bertrand Brésil, en live le temps d’une Nova Book Box enregistrée au festival Longueur d’Ondes. Il faut immédiatement s’enquiller l’excellent Sugar, son entêtant hit de poche sur la distanciation sociale, pour découvrir que nous avons, en Bretagne, un disciple énervé des brutalités frustrées de Jay Reatard. Et l’écouter nous détailler, sur le pont de L’Arche de Nova, son meilleur des mondes à lui, avec le détachement flegmatique d’un citoyen sous « soma », la drogue du roman-cauchemar d’Aldous Huxley (1931), qui plonge la population dans un sommeil paradisiaque, conditionnée au bonheur, inapte à la moindre contestation.
Dans son effrayant futur (désirable ?), Peter entrevoit « l’avènement d’une technologie au service de l’humain : le transhumanisme aura triomphé ». « Nous serons munis d’une petite lampe qui s’allume quand ça ne va pas trop ou quand on est un peu chafouin. Un système de diode avec un code couleur, dont l’objet serait de faciliter notre rapport aux autres et d’éviter les altercations. » La géolocalisation sera permanente : « Les satellites indiqueront précisément à quel moment on va où – et surtout, pour quoi. » Et Black Mirror aura totalement contaminé la start-up nation. « Il sera possible pour chacun de connaître son Projet de Vie Optimale, établi selon ses aptitudes, compétences, affinités, origines, aspiration, sa sensibilité, sa situation, son physique, son adresse, son genre... » et même son orientation politique. Donc, « plus besoin d’aller voter ! On consacrera enfin notre temps au développement personnel et à la verbalisation. »
On parle aussi de courses de chaises de bureau.
« … Toute la famille se régalera du spectacle de l’existence. Nous vivrons telles des fleurs de coton bercées dans la crème d’un latte macchiato de prestige. » Hâte.
Pour voir le clip home made de Sugar, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=sT_2zrR1VP4&ab_channel=PeterTriangle
Image : Her, de Spike Jonze (2013).