Découverte de l’univers troublant de la prochaine tête d’affiche du rap US. Ou pas.
Paradoxal, insaisissable, addictif. Depuis environ deux ans, le rap américain nous dépose sur un nuage de liquide violet qui mène à un violent mélange des genres entre gangsta rap et lo-fi, entre dirthy south et minimalisme.
Prochaine tête brûlée à devenir célèbre, Lil Ugly Mane (« Petit, Moche et Fou »), un jeune MC qui fait de la ville de Richmond l’extension du rap syrupeux de la côte Est depuis le très bon Bitch I’m Lugubrious.
Au fond du rap underground mais en tête de l’exploitation d’Internet comme support d’émergence, Lil Ugly Mane produit au côté du hiéroglyphique RVIDXR KLVN de SPVCXGHXZTPVRRP (SpaceGhostPurrp pour les intimes) & Co.
Avec Mistha Thug Isolation, Lil Ugly Mane (LUM) et Shawn Kemp —apparemment, son double producteur— réalisent un album marquant l’année 2012 par sa finesse agressive, sa lenteur trébuchante et sa légèreté accablante.
Pour mieux saisir l’album, un retour en arrière s’impose. Retour au début des années 90 pour retrouver Three 6 Mafia, groupe de horrorcore présent dans l’ambiance du représentant du Chocolate Milk Kult (CMLK). LUM y ressort avec dans les mains uzis, blunt et bitches, et dans la tête la noirceur, le flou et le gothique d’un dirty rap en plein retour de force.
A l’image de Tyler The Creator et du A$AP Crew avec qui il risque de collaborer, Lil Ugly Mane joue consciemment avec les codes musicaux et stylistiques du gangsta rap. Voix pitchée mystique, violent beat, caisse claire sous codéine (rappelant l’envoutant Snappin&Trappin d’Outkast), la musique de LUM est dangereusement prenante.
Elle fait rebondir le crâne, crépiter les yeux mais ralentir l’esprit —comme l’illustre l’agréable respiration qu’est Alone and Suffering. A ces codes musicaux, Shawn Kemp implante une puce électronique qui pirate la tradition. Atteint d’un virus novateur et macabre, le gangsta rap de LUM n’est plus seulement mysogine, violent et drogué : il passe dans le cosmique grâce à l’ouverture du courant hiphop aux sons électroniques.
C’est cette réinterprétation du style horrorcore remplie de nouveauté sombre qui plaît dans Mistha Thug Isolation. Illustrée par un délire de pimp des temps modernes, son exubération tousseuse, malgré le syrup, nous attire dans son jeu musical.
Dans la tête de Lil Ugly Mane, l’inventivité est de mise: un torrent galactique sur l’intro, des bruitages fantomesques sur Cup Fula BittleJuice et un beat excité par la défonce sur No Slack In My Mack. Cependant, ce type d’album pas encore bien mûr atteint ses limites au bout de quelques écoutes…
3 comprimés d’Aspirine dans un jus de betterave et au lit
Réutilisation paresseuse de samples (Twistin, Hoeish Ass Bitch et Last Breath), thèmes noyants et lourdeur rythmique rappellent que Mistha Thug Isolation est un disque du moment. Un passage dans la musique où la nouvelle vague du rap US s’amuse à briser les codes de la simplicitié illustrée par Mac Miller et autres. Finalement, tellement dérangeant qu’on ne sait plus si on aime sincèrement…
Une nouvelle vague qui englobe et immerge ses auditeurs tel un tsunami de fumée. Mais on veut en sortir vivant!
Si Mistha Thug Isolation s’imprime dans les albums marquants de 2012, c’est pour son ambiance horrifiante, son jeu déjanté avec le gangsta rap et sa capacité à englober différents styles musicaux. Si sa musique est parfois aussi troublante qu’un article rempli d’oxymores, Lil Ugly Mane peut trouver l’aboutissement dans une production exclusivement instrumentale.
Conseil d’utilisation: 3 comprimés d’Aspirine dans un jus de betterave et au lit.