Imbibé d’humour noir, cet écrivain parisien, auteur d’une « Méditation sur les emballages », esquisse un futur docile où nous saurons concilier reconnaissance faciale et respect des normes sanitaires.
« Errer dans un hypermarché comme si l’on n’y comprenait rien. » Ainsi s’ouvre Mélancolie du pot de yaourt, cette « méditation sur les emballages » signée Philippe Garnier en février dernier aux éditions Premier Parallèle. Dans ce recueil de textes courts sur « l’aura fragile » d’une brique de gaspacho ou d’un bidon de lessive, cet écrivain et traducteur parisien, critique à Philosophie Magazine, sonde les souvenirs de ses « rencontres » avec divers objets du quotidien peu considérés et leur impact, pourtant réel, sur l’imaginaire : boîtes de sardines ramenées à leur sort de « petits cercueils en fer-blanc », vertige émoussé du carton à chapeau, désirs mêlés de « dévotion » et de « profanation » face aux produits de luxe type flacon de parfum, jusqu’à ce paquet de chips bio « à l’Ancienne » qui lui suggère, de collines en vallées factices, une épuisante séance d’autohypnose.
Il en sera de même, peut-être, pour ces deux nouveaux accessoires de survie dans la « guerre » invisible contre le covid-19 : gants et masques, grâce auxquels nous ressemblons de plus en plus à des barquettes de viande sous vide, enroulées de film plastique. Garant des consignes d’humour noir pratiquées par Jonathan Swift dans sa Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public (1729) où les nourrissons étaient présentés comme une solution scientifique alléchante à la famine, Garnier dépeint un futur docile où nous saurons « concilier port du masque et reconnaissance faciale » par le port d’un second masque, par-dessus le premier, qui reproduira « au millimètre près » toutes les nuances de notre visage. Le gouvernement risque d’être emballé.
Pour ne pas confondre ce Philippe Garnier avec l’autre, également traducteur (de Fante ou de Bukowski), notre logiciel de reconnaissance auditive vous propose d’exercer votre oreille grâce à cette interview du second, sur Nova, à écouter là.
Visuel © Black Mirror saison 3, de Charlie Brooker (2016).