L’oeuvre inaccessible aux daltoniens.
Pierre Bonnard fait sans doute partie de l’âge d’or de la peinture française, avec Monet, Matisse, Degas, Vuillard : on est au panthéon d’un genre, au tournant d’un siècle, ou peindre était encore un idéal de vie et de bonheur…Il pousse la porte de l’Art Moderne.
Ni impressionniste, ni fauviste, Bonnard aurait fait partie des Nabis, (des symbolistes décoratifs qui ne lui ressemblent pas…) et aurait été amateur du Japonisme ( mais là encore, le côté « à plats » avec cloisons, ce n’est pas lui du tout ! ), alors voilà : il flotte ailleurs, dans un espace qui lui est personnel.
Sur un peintre aussi apparemment heureux, épanoui, avec une telle gamme de coloris, tout a été dit, et son contraire. Pierre Bonnard, embrasse, sans alibi, ni limite, toutes les magies de la couleur. On sait qu’il « recadrait » ses toiles: en coupant, ou rajoutant un morceau, pour améliorer le cadre. Il allait jusque dans les musées pour « retoucher » ses œuvres! Alors on le dit exigeant, perfectionniste ?
Mais tous les artisans le sont. Ses nus, ses paysages vibrent de tons et de touches qui ont l’air de bouger sans cesse, car chaque élément est fait de couleurs encore en train de se mélanger.
En plus, il met du vert dans le violet ou du bleu dans le jaune.. des tons qui ne « devraient » pas aller ensemble ? Il juxtapose des tons fins, rabattus de blanc, sensibles comme notre rétine, et qui dansent ensemble dans des floutés qui enchantent ce que l’on voit . Il serait alors, comme le pointilliste Seurat, peintre de la « persistance rétinienne », phénomène optique qui mélange, à notre insu, des nuances – par leur durée dans nos capteurs optiques – et qui vont déborder sur les couleurs suivantes. Un peu comme des diapositives superposées.
D’ailleurs Bonnard faisait beaucoup de photos ! Notes, indications, exemples, images de voyages… On ne peut tout peindre ou dessiner, alors il utilisait la photo, et s’en trouvait influencé.
Les cadrages de ses toiles sont nouveaux, modernes : la femme dans la baignoire est vue d’au dessus, il y a un mur qui cache à moitié un autre personnage, qui devrait être central et qui est du coup, décalé. Les paysages sont vus à travers une fenêtre ou une porte, un bout d’intérieur. ( Matisse, Vuillard feront de même)…
Il suffit parfois d’une rampe d’escalier, d’une amorce de table ou de mur au premier plan pour changer le regard de ses contemporains.
Quand à l’ »Art de vivre » français dont on nous parle tant, il est là, représenté directement : images tremblées, délicates, chatoyantes, osant toutes les teintes, ne craignant ni le joli, ni le décoratif, bref totalement décomplexées, et livrées au seul bonheur d’exister.
Voyez par vous-même ces coins de paradis.
Pierre BONNARD ( 1867-1947) Peindre l’Arcadie
Musée ORSAY . Paris 7eme.( du 17 Mars au 19 juillet 2015)