Contre les tartuffes et les éditorialistes de comptoir, cet écrivain parisien féru d’absurde et de tartes à la crème propose d’adopter la langue iourougounde, qui ne fait sens que par la variété de ses silences.
« Tout mot de cette langue consiste en un assemblage de sons bien définis mais privés de sens. Le sens, c’est le silence qui le donne. Le silence est le fondement du langage iourougounde. » Dans son tout petit texte intitulé Les langues de la tour de Nemrod, issu du recueil Détours de Babel (éditions Interférences, 2018), l’écrivain russe Vladislav Otrochenko – issu d’une lignée de Cosaques, ce qui est suffisamment rare et inquiétant pour être souligné – a créé de toutes pièces le peuple iourougounde, dont nous ne savons rien, mis à part qu’ils ne sont pas très causants ; quelque part entre Hodor et Chewbacca. À ceci près que leur langue, certes économe en bavardages, constituée « d’une suite de syllabes dénuées de sens, de balbutiements et de bégaiements », renferme une sagesse inspirante.
« Adoptons la langue iourougounde ! » C’est l’intuition de l’écrivain français Pierre Senges, qui signa en janvier Projectiles au sens propre, drôle d’enquête sur le sens caché de chacune des 4000 tartes lancées par (ou sur) Laurel et Hardy dans un classique miniature du cinéma burlesque de 1927, proprement publiée aux éditions Verticales. Contre « ceux qui ont avis sur tout », contre les tartuffes et les éditorialistes de comptoir, le co-auteur de Cendres des hommes et des bulletins (avec Sergio Aquindo, qui imaginait l’élection d’un pape « idiot » à cause d’une faute d’orthographe, Le Tripode, 2016) revendique cette mesure d’urgence pour la pensée, qui permettrait en outre, parole d’honneur, de se protéger des effets des imminents premiers romans du confinement.
Pour écouter Pierre Senges se faire cuisiner sur les vertus aériennes de la tarte à la crème au micro du juke-box littéraire de Radio Nova, c’est là.
Visuel © Game of Thrones, de David Benioff et D. B. Weiss (2011-2019).