Voir Pixies en 2025 est une expérience très paradoxale. Il y a du regard d’Orphée là-dedans. C’est qu’il s’agit là d’un moment enflammé qui illumine et qui carbonise, qui célèbre et qui enterre, dans un même mouvement, l’âge d’or du groupe. Tou.te.s les fans du groupe le savent : jamais les farfadets de Boston ne retrouveront la touche magique des années 1987 à 1991, celles d’un fabuleux carré d’as indie-rock lâché sur le tapis de 4AD : Surfer Rosa, le quintessentiel Doolittle, Bossanova et l’électrisant Trompe le Monde.
Quatre disques blindés, ras-la-gueule, d’une farandole de morceaux incroyables, de singles terrassants, de mélodies entêtantes. Celle qui donne l’impression d’entendre « la rencontre d’une planche de surf et d’une épingle à nourrice sur une table de dissection », dixit Patrick Bénard dans ses Chroniques Frénétiques, détournant la célèbre tournure proto-surréaliste de Lautréamont. « Debaser » (et son clin d’oeil au Chien Andalou), « Here Comes Your Man », « Isla de Encanta », « Number 13 », « Motorway to Roswell », « Gigantic », « Velouria », « Monkey Gone to Heaven », « Alec Eiffel » : ça en fait des trésors scintillant dans le chaudron, au pied de l’arc-en-ciel.
Après quoi, Pixies avait explosé en plein vol. Comme pour les ex-Beatles de 70-71, de ce clash sont nés de fulgurants épigones – l’irrésistible « Cannonball » des Breeders et, plus massif, le premier Frank Black. Réapparus en 2004 pour récolter les lauriers (et quelques sous, aussi) qui avait poussé entretemps sur leurs arpents, avec Kim Deal revenue d’abord, puis sans Kim Deal lorsque l’écriture de nouvelles compos a ravivé les dissensions avec Frank Black devenu Black Francis, Pixies (ou ses trois quarts, complétés à la basse par l’Argentine Paz Lenchantin puis par la Britannique Emma Richardson, de Band of Skulls) continue sa route, de concerts en albums et vice-versa – comme Wire, comme Neil Young, comme tant d’autres qui ayant perdu la grâce, dilapident le mythe sans en avoir cure, remettent l’ouvrage sur le métier, persévèrent, font leur travail sans en démordre.
Depuis que la machine a été réenclenchée, les Pixies ont rajouté cinq lignes à leur discographie – doublant le canon originel. Il y a eu Indie Cindy en 2014, Head Carrier en 2016, Beneath the Eyrie en 2019, Doggerel en 2022. Et, en 2024, The Night The Zombies Came.
Le temps des chefs-d’oeuvre est passé, mais Pixies sait toujours en imposer, au croisement du punk et de l’americana, avec quelques coins enfoncés dans le hard-rock et le flamenco, à bord de soucoupes volantes décollant depuis la Vallée de la Mort jusqu’au prochain diner. Aux commandes, quasi-exclusives, un Black Francis cumulant les casquettes du bon, de la brute et du truand – nouveau western toujours aussi mystérieusement intensifié par ces Farfadets d’outre-Atlantique.
Pour la setlist, surprise. C’est ce qu’il affirmait en 2019 à Technikart : « On répète une cinquantaine de chansons pour chaque tournée. Il y a une liste de toutes ces chansons accrochée à côté de la batterie dans laquelle je pioche, selon mon humeur. On ne fait plus de setlist depuis des lustres ; je préfère jouer ce qui me semble opportun sur le moment, quand nous sommes dans la salle, face au public. »
Entre figures imposées et programme libre, tradition éraflée et quadrature du cercle moderniste, tel est Pixies. Un manège d’un autre temps, allant bon train, bon trot, bon galop, carburant à la racinette et aux pulps, loin des trends et des algos, hennissant ses refrains cosmico-surf électrisés, martelant ses sabots d’enfer, tour à tour jouissifs, sournois, malicieux ou atrabilaire.
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