À cette occasion, on vous ressort un live donné par Manu Chao chez Radio Nova, en 1998.
Le 27 avril 1998, dix jours après la sortie de son disque chez Virgin Records, Manu Chao déboule en studio chez Radio Nova (on était alors au 33 rue du Faubourg Saint-Antoine) pour y présenter Clandestino, le premier album d’une carrière solo qui devait, ensuite, connaître trois nouveaux éléments (Próxima Estación : Esperanza en 2001, Sibérie m’était contée en 2004 et La Radiolina en 2007) et des centaines de lives, en très grands comités (70 000 personnes en festival) ou en très petits (70 personnes dans des bars du quartier d’El Poblenou à Barcelone). L’album est un succès international, et « Clandestino », un tube qui sert de chant de ralliement à tous les alter-mondialistes sensibles au sort de ceux qui, au péril de leur vie, renoncent à l’idée de devenir quelqu’un pour n’être considérés que comme des clandestins.
La fin de la Mano, les débuts de Manu
Retour en arrière. Quelques mois avant Clandestino, Manu Chao a traversé en train, avec ses compères de la Mano Negra et quelques freaks croisés un peu partout (des clochards célestes aux talents multiples, et quelques quasi clochards tout court), la Colombie hors des sentiers battus (pas de grandes villes, que des campagnes). La plupart du temps sur des possessions de Pablo Escobar (le parrain de la cocaïne en Colombie), des Farcs (les Forces amères révolutionnaires de Colombie, que le gouvernement colombien juge terroristes), et de populations pas vraiment adaptées à recevoir ce genre de proposition artistique.
Beaucoup de concerts, beaucoup de rencontres, beaucoup de galères. Pour Manu Chao, le périple colombien qui deviendra l’album Casa Babylon (le dernier album de la Mano Negra, sorti en mai 1994) est l’une des plus belles expériences de sa vie. Pour le reste de la Mano Negra, c’est peut-être l’une des pires. Certains quittent l’aventure très vite, d’autres un peu moins, mais au final, c’est la Mano tout entière qui disparaît. Trop, c’est trop, comme on dit.
La fin de l’histoire, Manu l’accepte, sans ciller. Mais la Mano c’était sa vie, il faut en trouver une autre. C’est comme une rupture amoureuse, ça bouleverse le corps, ça recentre et ça disperse. Quelques mois de déprimes. Parfois légères, spleeniennes, et parfois bien plus grosses. Durant des mois, il vagabonde un peu partout, là où il a des copains (il en a beaucoup, et dans le monde entier) et où le vent le porte. Il est le « Desaparecido » (le disparu) qu’il chantera plus tard. Celui dont on ne sait pas très bien où il se trouve, que l’on cherche mais qu’on ne capte jamais, qui est beaucoup trop en mouvement pour qu’on en saisisse la course.
Clandestino : l’aventure techno avortée
Virgin, en attendant et depuis la fin de l’aventure Mano Negra (quatre albums en huit ans d’existence, dont le très culte Puta’s fever), veut le faire signer pour un disque et avance un peu de fric. Mais lui ne s’y retrouve pas, préfère avancer avec son sac à dos que clouté sur le siège confortable d’un studio. Il tente quelques expériences techno, au sein d’une scène encore pas mal assimilée, à la fin des années 90, à l’idée d’underground. L’album est quasiment prêt, mais un bug informatique fait capoter l’affaire. Un album tout entier de foutu, une expérience de huit ans annulée et d’autres soucis… Ça fait beaucoup. Manu doit s’entourer. De l’ingénieur du son Renaud Letang par exemple, qui a déjà travaillé avec Alain Souchon et dont l’influence, sur Clandestino, sera décisive, puisque c’est lui qui mixera l’entièreté du disque.
« La Mano était morte, mais il restait dans les tiroirs de Manu soixante-sept chansons composées pendant son périple sud-américain », raconte Véronique Mortaigne dans Manu Chao. Un nomade contemporain, la très complète biographie qu’elle a sortie en 2002 aux éditions Don Quichotte. Une quarantaine de morceaux sont d’abord sélectionnés et mixés. Seize sont finalement retenus, et le reste servira à la constitution de son deuxième album, Próxima Estación : Esperanza. À ces titres sont ajoutés des samples issus de partout, des enregistrements extraits de films, d’émissions radiophoniques, de bulletins météorologiques, de la rue. En studio, c’est un travail titanesque auquel est confronté Renaud Letang, qui s’en sortira magistralement. Clandestino est un album de studio où rien n’a vraiment été enregistré en studio, mais où tout a dû être superposé. C’est marginal, ça fonctionne.
À sa sortie, l’album déçoit beaucoup de fans de la Mano Negra, ceux accrochés à l’idée du patchanka (mélange de punk, de rock, de rap, de reggae, de ska, de raï, de soul music, de samba, de ballade, soit le style musical défini par la Mano Negra), mais en ramène de nouveaux. Ceux qui trouvent dans la « Malegria », un mélange entre la Mala Vida (la « mauvaise vie ») et « l’Alegría » (« la joie »), une raison de s’accrocher aux chansons tristes, joyeuses, pleines d’espoir et de détresse de Manu Chao. En solo comme hier au temps de la Mano, Manu chante ceux qui n’ont pas de papiers, les frontières où l’on s’entasse, la marijuana qui demeure encore illégale, les courageux qui combattent la grande Babylone, les racines qu’on chérit mais qu’il faut savoir dépasser, les peines d’amour, la vérité aux plusieurs facettes.
Correr es mi destino, para burlar la ley
Album alternatif, marqué par ces boucles qui feront, en live comme en studio, toute la spécificité du son Manu Chao, il amène la « musique world » et les idées de sono mondiale là où personne ne les avait jamais vraiment menées. Manu, c’est le son de partout, de tous ceux qui ont quelque chose à dire. C’est latin, pop, reggae, rock, électronique. Le son vient de Bogotá, de La Havane, de Rio de Janeiro, de Mexico, de Buenos Aires, de Galice, de Barcelone, de Paris, de Tijuana. « Correr es mi destino, para burlar la ley » (« courir est mon destin pour pouvoir tromper la loi »). Tout Manu Chao est là. Courir et se poser là où il a envie de le faire. Et de la manière dont il a envie de le faire.
Aujourd’hui, Because Music, le label d’Emmanuel de Buretel qui suit et soutient Manu Chao depuis très longtemps, ressort cet album cultissime en l’agrémentant de quelques inédits. Une réécriture, plus actuelle que jamais, de « Clandestino » avec la légende trinidadienne Calypso Rose, un morceau qui dénonce les conditions de détention catastrophiques en Arizona (« Bloody Border »), et « Roadies Rules », « blues autobiographique sur une pulsion suicidaire sur une route au milieu de nulle part ». L’album est disponible dès le vendredi 30 août, c’est-à-dire immédiatement.
Visuel © Getty Images / Sergio Gaudenti
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