Sur l’île de Gaou à Six-Fours-Les-Plages près de Toulon, le Pointu Festival a battu son record de fréquentation avec plus de 18.000 spectateurs sur le week-end du 7 au 9 juillet. Depuis sa création, on peut enfin inscrire la côte méditerranéenne sur la carte des meilleurs festivals en France. On vous raconte notre week-end sur l’île la plus rock de l’hexagone.
Pointu, c’est un jeu de mots entre les traditionnelles barques de pêche provençales — qui ont la particularité d’avoir une coque pointue — et une programmation exigeante, bien ficelée… pointue ! Entre les têtes d’affiche internationales (Idles, Loyle Carner, Kurt Vile…), les groupes français les plus excitants du moment (Meule, MSS FRNCE…) et de belles découvertes, cette septième édition offrait une programmation — et on pèse nos mots. Un festival indie au sens large du terme : Punk, Rock, Folk, Electro, Hip-Hop, musiques extrêmes et on en passe.
Seules les grosses guitares peuvent tenter de couvrir le chant des cigales sur l’île de Gaou. Le Pointu rayonne dans le milieu depuis sept éditions (après son prédécesseur Les Voix du Gaou) avec déjà quelques noms notables : Mogwai, Hot Chip, Thee Oh Sees, Slowdive, Ride, Super Discount ou Jungle l’an passé…
Son caractère bien trempé le différencie des événements du coin comme le Midi Festival, Le Yeah ou le Moko, et vient le positionner quelque part entre le festival Levitation (Angers), La Route du Rock (Saint-Malo) et le Binic Folks Blues Festival (Binic). Point commun notable entre ces derniers, le duo de graphistes Arrache-toi Un Œil a déjà illustré les affiches de certaines éditions des festivals.
Guitares et maillots de bain
L’accès à l’île se fait par un pont décoré aux couleurs du festival. Il est entouré par des bateaux de pêche (pointus) et l’on découvre les lagunes qui font la particularité et le charme de cet endroit. On se rend vite compte de l’ambiance familiale et détendue. “Le Pointu, c’est presque un “day off” pour les artistes en tournée” nous confie Vincent Lechat, le directeur et programmateur du festival.
Ce cadre donne forcément lieu à des situations mémorables : dès son arrivée, Kevin Morby enregistre les cigales tout en s’amusant à imiter un shaker au rythme de leur chant, Loyle Carner joue au volley dans la mer accompagné par son fils et de son groupe, les dix musiciens de Brian Jonestown Massacre passent leur après-midi à se désaltérer bière à la main… Les artistes et leurs équipes partagent le catering, la mer et les sanitaires avec les bénévoles et organisateurs du festival. Il ne faut pas être impressionné de croiser Joe Talbot, le chanteur d’Idles, à la sortie de la douche, ou de croiser les Suédois de Viagra Boys (et leurs impressionnants tatouages) serviette sur l’épaule pour aller se baigner. C’est ça le Pointu Festival, un cadre, une ambiance, mais surtout une sacrée programmation !
Six-Fours-Les-Plages au milieu des tournées mondiales
Cette année, et particulièrement le premier soir, il y avait une majorité de formations américaines. Si l’honneur d’ouvrir le festival revient aux Londoniens de Sorry, l’enchaînement made in USA commence par les énergiques Frankie and The Witch Fingers. Dans le groupe, basé à Los-Angeles, on reconnaît les mimiques du chanteur jusqu’à la manière de tenir sa guitare, emprunté au boss du garage californien John Dwyer (Oh Sees). Toujours sur la grande scène “La Plage”, Kurt Vile prend le relais pour son retour après un premier passage en 2017 au Pointu Festival. Un moment rare puisqu’il nous dépayse et nous offre une ambiance folk psyché typiquement américaine.
Une autre figure d’outre-Atlantique clôture la soirée, l’unique Antone Newcombe, leader des Brian Jonestown Massacre, qui semble de très bonne humeur sur scène. Accompagné de neuf musiciens, il y a par moment six guitares en même temps. La formule reste imparable : un mur d’amplis, des guitares douze cordes, de la réverbération, du delay, sans oublier l’irremplaçable Joel Gion… C’est la parfaite recette du rock-psyché qui réjouit les fans du groupe venu en nombre.
D’autres artistes américains viendront fouler la grande scène du Pointu durant le week-end : les garageux de Meatbodies, Kevin Morby, les dingos de A Place to Bury Strangers… On se rend bien compte que la programmation est exceptionnelle. Exceptionnel, comme le concert du rappeur anglais Loyle Carner venu apaiser l’énergie débordante du festival le dernier soir. Un temps plus calme, nécessaire, avant de remettre une dernière grosse couche avec Idles en clôture.
Une deuxième et nouvelle scène sous la forêt de pins et de belles découvertes
La grande nouveauté cette année, c’est la création d’une deuxième scène : “La Pinède”. Elle a été mise en place pour faire jouer des groupes locaux, un par soir : l’enfant du pays Jul Giaco (qui monte sur scène en peignoir et short Ricard) provocateur, drôle et lunaire, ou encore les Marseillais de Parade et Avee Mana (première signature du label Toulonnais Hasard Records). Tous très attendus par le public, c’est sous cette forêt de pins offrant un son mâte que notre scène française a montré les crocs : Lysistrata, MSS FRNCE et Meule… Grrr !
Le programmateur et directeur du festival, Vincent Lechat, a pu se faire plaisir en “prenant des risques et en sortant du cadre” à l’image du concert drone et folk du quatuor dublinois qui, à partir de 23h, sortent la vielle à roue, les violons et les guitares. C’est ici même que l’on fait notre plus grosse découverte du week-end avec la prestation incroyable de Benefits. Ils viennent de Teeside dans le Nord-Est de l’Angleterre et distillent une noise rock primitif en spoken words.
Pas besoin d’aller à Clisson pour manger de la terre et faire des Circle Pit
Ils étaient nombreux côté public et artistes à se prêter au jeu du slam, cette discipline olympique qui consiste à se faire porter au-dessus du public. C’est d’ailleurs de cette manière que l’intégralité du groupe MSS FRNCE quitte la scène après leur concert. On connaît très bien le groupe Idles pour ce genre d’acrobatie, parfaitement exécuté par le guitariste pendant leur concert en clôture du festival, ou encore A Place To Bury Stranger pour venir jouer dans la fosse parmi le public. Cependant, on en doutait un peu plus concernant Kevin Morby, et pourtant… Sur le dernier morceau de son concert, l’Américain se jette dans le public. Il fallait bien fêter la dernière date d’une grande tournée européenne avant de partir en vacances. Il reprendra en septembre prochain la tournée de son dernier album “This Is a Photographer” en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Chose surprenante pour un public Indie-Rock, quelques Circle Pit (lorsque le public courent en cercle devant le concert) se forment sur certains concerts, on vous l’a dit, on approche parfois des “musiques extrêêêêêmes”.
Le festival est une aubaine dans le coin, c’est un rendez-vous où les locaux s’y retrouvent. Ils représentent au moins un tiers du public. Pour le reste, ils viennent de toute la France (S/o les Rennais de Clavicule dans le public) et de l’étranger : Allemagne, Angleterre, USA et même d’Auckland en Nouvelle-Zélande. Le dress code de nos rockeurs : short, lunettes de soleil… Moustaches, barbes et rouflaquettes en tous genres sont de rigueur, les tatouages aussi. Le T-Shirt à l’effigie des groupes ne déroge pas à la règle du public Rock : The Cramps, Sonic Youth, Oasis, La Femme, Suicidal Tendances, le logo du label Rough Trade, un bel aperçu de la pluralité du genre. D’ailleurs, on peut reconnaître la présence d’une tête d’affiche par le nombre de personnes arborant leur merchandising. De ce côté-là, c’est bien le logo iconique des Brian Jonestown Massacre qui l’emporte.
Le festival provençal qui s’inscrit sur la carte, dans la “No Go Zone” du Rock
Après avoir passé un festival aussi dingue au bord de la Méditerranée, nous voulions tout de même savoir si le Pointu était vraiment un OVNI indie-rock dans sa région. On le disait plus tôt, il est le seul à proposer une programmation aussi pointue. Lorsque l’on demande à Vincent Lechat, directeur et programmateur du festival s’il avait été évident de faire cette proposition, il nous répond “c’était difficile de convaincre les tourneurs au début, c’est grâce à Doudou de Radical Production (NDLR : tourneur rock historique et organisateur du festival Levitation à Angers) qui nous a fait confiance en programmant ses groupes et qui a rassuré tous les tourneurs. On s’inscrit maintenant sur la carte des tournées parce que l’on a su montrer que nous étions capables d’accueillir des groupes avec de très bonnes conditions techniques, un cadre magnifique et surtout un public.”
Il est vrai que, comparé à l’ouest de la France ou plus généralement le nord (à partir de Lyon), ce n’était pas gagné d’organiser un festival en Provence. Pour ne pas faire les mauvaises langues, on a sondé des agents et tourneurs présents sur le festival. “En dessous de Lyon, c’est un peu la No Go Zone, nous répond-on, plus on se dirige vers le sud et moins on vend de billets”. Un tourneur nous confirme : “Je ne démarche plus de salles de concerts en dessous de Lyon, sauf si l’on vient vers moi. Le public est trop volatil. Par exemple, j’avais fait tourner un groupe à Lyon qui avait rempli une salle d’une jauge de 1 500 personnes, le lendemain à Marseille, seulement 300 personnes étaient venues voir ce même groupe. L’explication ? Trop de mistral et l’OM avait perdu…”
C’est indéniable, il y a un public pour les musiques Rock en Provence, mais pas vraiment d’offres. Cela s’explique sûrement par une culture et une histoire marquées par le Hip-Hop et l’Electro.
Pour sa septième édition, le Pointu Festival a montré une fois de plus qu’il pouvait proposer un événement pouvant rassembler le fleuron de la scène indie-rock. Avec sa nouvelle scène, plus axée sur les groupes en développement et les découvertes, il peut prétendre à devenir un festival révélateur et fer de lance de sa scène locale notamment. Pour le prix du pass 3 jours à moins de 50 euros, et une programmation aussi percutante, franchement… Chapeau, Pointu.