La chronique de Jean Rouzaud.
Les éditions Actes Sud se lancent dans des albums de bande dessinée de « qualité », tendance littéraire. Je vous ai signalé sur ce site les deux tomes autour de la vie de Panaït Istrati, auteur grec itinérant des années 20 -40, inspiré et maudit… Dessiné par Golo.
Mazen Kerbaj, planches sans langue… de bois
Cette fois, un jeune éditorialiste libanais : Mazen Kerbaj, qui depuis les années 2000, multiplie les strips, pages et bandes dessinées sur la situation de son pays… sans langue de bois !
Dans des cases régulières et monotones, des personnages au dessin hyper caricatural : gros nez, barbes et moustaches pourries, à l’expression de zombie ou de furieux, parlent du Liban.
La guerre, la violence, les morts, les menaces et les angoisses des habitants défilent, de case en case, mais aussi le ridicule, les absurdités libanaises, la résignation devant le désordre interminable…
Et les factions : Sunnites, Chiites, Druzes, Maronites, Chrétiens d’orient (minorités orthodoxes), tous ces clans auxquels l’Occident ne comprend rien, qui ont fait la richesse et la diversité de ce pays magnifique, mais qui se combattent depuis des décennies…
Ajoutez à cela les voisins encombrants : au nord la Syrie qui a noyauté le pays pendant des lustres et au sud les Israéliens paranoïaques et agressifs… Et enfin des réfugiés (un million de Syriens, dans un pays qui comptait un peu plus de 4 millions d’habitants !)
On sourit amèrement devant cette situation ubuesque, devant ces femmes bourgeoises ridicules qui exploitent des serviteurs sri lankais, où se préoccupent de leur bronzage, avec leurs bouches refaites… Car le Liban, c’est aussi des clubs et des boites de nuit sur les hauteurs de Beyrouth, au-dessus des bombes et des tirs de factions ennemies !
Un pays attachant : sa nature, plateaux forêts, rivières, son climat, sa nourriture, ses plages, la Méditerranée turquoise comme les cèdres bleus (Panaït Istrati y voyait le paradis…)
Les personnages de Kerbaj passent en revue (dialogues ou réflexions), toutes ces misères, hypocrisie et méfiance séculaire, arrière-pensée et « politique »… C’est le titre de l’album, avec ce que cela comporte de passivité et de cynisme.
Les politiques y sont traités d’« assassins professionnels »…
Les Libanais passent au tamis de Mazen Kerbaj, nul n’en réchappe, même les réfugiés libanais à l’étranger, dont les nostalgies du pays reposent sur presque rien… Vu la situation de post-guerre civile.
Le Liban, francophile et bigarré, passionné et pris en tenaille, mérite bien qu’on s’y attarde : les partisans d’aujourd’hui ont vécu ensemble si longtemps dans un proche-orient idyllique…
Politique. Album de Mazen Kerbaj. Actes Sud BD (avec Arte Editions). Plus de 60 pages. noir et blanc. 22 euros.
(Mazen Kerbaja déjà publié en auto-édition, puis à l’ « Association », aux éditions Tamyras, L’Apocalypse et Samandal.) Dessinateur et scénariste, il est aussi musicien et tourne dans le monde.
Visuels © Mazen Kerbaj