La chronique de Jean Rouzaud.
L’universitaire américain David Hadju nous rejoue le roman du Folk, à travers les histoires d’amour (et de haine) croisées de Bob Dylan et de Joan Baez. Et, plus intéressant, de la jeune sœur Mimi Baez et de son mari Richard Farina, les deux autres espoirs de la Folk culture…
Le Folk ! Un truc de bobos, intellos, contestataires
On est en 1959, le Rockabilly a frappé, mais Buddy Holly est mort ainsi que Ritchie Valens, et d’autres se sont grillés avec des histoires de mineures : Chuck Berry, Jerry Lee Lewis…D’autres déraillent, et même Little Richard se repent de ses péchés, en prêchant la Bible !
Une nouvelle mode va naître, mal connue en Europe : le Folk ! Vraiment un truc de bobos, intellos, contestataires. Des Bostoniens, des étudiants de Harvard (à Cambridge Massachusetts).
Après les Rockers, viennent les post beatniks, obsédés par la poésie, le théâtre, l’Art, et bien sûr la musique traditionnelle, ancienne, aux origines américaines plus ou moins blanches (on oublie un peu le blues). Avec ces héros politisés : Woodie Guthrie et Pete Seeger, militants guitaristes, tous les révoltés américains vont se brancher comme des fous, à commencer par Robert Zimmerman, futur bob Dylan.
Le Folk, et les requins du showbiz
Tout cela va se passer dans l’Amérique profonde, avec comme œil du cyclone le quartier du « Village » à New York, et comme épicentre le festival de Newport (Rhode Island). Tous les requins du showbiz américain, qui ont compris la fortune à faire après les 45 tours Doo Wop et Rockab des années 50, vont scruter les possibilités du Folk et de sa tribu anti système.
Mais le Folk est une caution morale : il doit être pur, désintéressé, droit, politique, authentique…Un véritable défi pour l’« Entertainment » à dollars, mais un public conquis d’avance, acquis à toutes les justes causes (à ce moment-là, la Guerre froide et la bombe atomique…) Et tout va se jouer sur cette fausse pureté, cette raideur cul serré en sandalettes et vêtements de travail, cheveux longs et guitares. Le fond est bien intentionné, mais le résultat donne une sorte de secte.
Comble : ces branchés américains en rupture veulent de la musique « redneck », plouc, du Hillbilly de péquenots, des sons venus des Appalaches (la grande chaîne à l’est des US), du blues blanc, avec banjos et harmonicas…Old time music ( du bon vieux temps) !
Dylan, faux hobo, vrai bourgeois ?
L’intérêt de Positively 4th Street de David Hadju, un « faux » roman, est dans les détails et témoignages : quand l’auteur, qui n’y était évidemment pas, décrit le moindre regard ou repas des personnages, on rit. La légende américaine se fout de la réalité ! Par contre, la concentration des faits et gestes du Dylan naissant (qui en était à son troisième pseudo et s’inventait une vie de « hobo », clochard errant, à vingt ans, lui, le petit bourgeois de province !) on peut sourire d’une autre manière. Il va s’épuiser entre 1960 et 1965.
En bref, Dylan croise un autre mythomane, beau et habile : Richard Farina. Tous deux draguent les groupies folk, se donnent un mal de chien pour avoir le style. Dylan copie son idole Woody Guthrie et rame dans les cafés de l’East Village ou la concurrence est rude, mais le « truc Folk » est vraiment la seule chose à faire…Puis ils trouvent les soeurs Baez (Joan et Mimi) qui chantent et grattent leurs guitares en starlettes naissantes, parmi bien d’autres. Richard va finir par épouser la jeune mimi (dix-sept ans) et écrire son roman Le futur n’est plus ce qu’il était, avant de se tuer en moto en 1966, à vingt-cinq ans.
Sur les conseils de ce mentor de Farina, Dylan plaque sa première Folk muse (Suze Rotolo) et fait chavirer Joan Baez devenue idole Folk. Elle va l’imposer à un public réticent, mais à deux, la magie opère !
La rivalité des sœurs Baez, le puritanisme, puis le gauchisme new-yorkais, tous les coups bas du showbiz, et les laissés-pour-compte forment la toile de fond de ces cinq années (1960-65) décisives. Car c’est bien à ce moment que la contre-culture, la free press, les protest songs, les manifestations vont s’intensifier avec le Vietnam, et couper l’Amérique en deux camps.
Dylan porte-parole. Vraiment ?
Dylan va s’avérer complexe, insaisissable, calculateur, incroyablement doué et intuitif…Sous la houlette de son manager Albert Grossman (véritable crocodile), il va, lui aussi, s’épuiser dans un double jeu, se terminant en scandale lorsqu’il reprendra guitares électriques saturées et Rock efficace. Mais personne n’en était à un plagiat ou une trahison près. Dylan sera élu porte-parole d’une génération, une élection dont il se défendra, mollement.
Les images, la photogénie et les films réussis de cette époque inspirée tamponneront cette période comme un zénith de la contestation et de la culture jeune, oubliant les bidonnages et les informations fausses !
Positively 4th Street. Les vies de Joan Baez, Bob Dylan, Mimi Baez Farina et Richard Farina. Par David Hadju (Éditions Sonatine) 384 pages. 22 euros (plus quelques pages de photos d’époque + Index et historique).
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