Les chroniques d’Usbek & Rica : #29.
A partir de vendredi jusqu’à dimanche, les peuples des 28 pays de l’Union européenne vont donc élire leurs 751 représentants au Parlement européen. La France en compte 74, répartis à la proportionnelle sur 8 grandes circonscriptions régionales.
Globalement, et à l’heure où je parle, voilà ce qui a le plus de chances de se passer : un fort taux d’abstention, une victoire contientale de la droite, qui va élire le libéral Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne, une énorme poussée des partis populistes, d’extrême droite, nationalistes, voire carrément néo-nazis (on pourrait voir élus une grosse centaine de députés à tendance crypto-fasciste).
Bref, ces élections, c’est la déprime : l’Europe est au minimum discréditée, au pire détestée. Pêle-mêle, on lui reproche : l’élargissement, qui donne un sentiment de dilution, le chômage né des politiques d’austérité, un euro trop fort, et même l’existence de l’euro comme monnaie unique, sa sempiternelle technocratie / bureaucratie qui éloigne les citoyens de l’Union, et bien sûr, d’être une Europe passoire, avec un ennemi extérieur, les migrants qui débarquent à Lampedusa, et un ennemi intérieur qui remettrait en cause l’ « european way of life » : les musulmans.
Inutile de tergiverser : il faut tout casser et tout recommencer à zéro
Résultat : même les europhiles sont démotivés. En France, où le FN matrice le débat, personne n’ose plus se réclamer du fédéralisme, à part quelques personnalités éparses. Et tous les gens que je croise me disent : « Je vais pas voter dimanche »… Avant, l’Europe, c’était l’avenir. Aujourd’hui, on a l’impression que le meilleur est derrière nous. Comment faire pour qu’elle soit à nouveau l’avenir ? Inutile de tergiverser : il faut tout casser et tout recommencer à zéro. La construction européenne souffre d’un péché originel : elle a mis la charrue avant les bœufs, l’économique avant le politique et la nation avant la fédération.
Le 30 août 1954, les députés français ont refusé de voter la création d’une « Communauté européenne de défense » (CED), premier pas d’une Europe militaire, donc politique. C’est qu’on appelle le « crime du 30 août ». Et depuis 1957, date du traité de Rome qui instaure la CEE, c’est toujours la même histoire. On aurait pu, en 2005, passer à une étape vraiment déterminante avec le vote d’une constitution, mais le « non » français a tout enrayé et depuis c’est l’enlisement.
Ce qu’il faut maintenant, c’est embrayer sur une nouvelle étape : les Etats-Unis d’Europe
Ce qu’il faut maintenant, c’est embrayer sur une nouvelle étape : les Etats-Unis d’Europe. C’est-à-dire ? Un seul et même pays, avec une Constitution, un Parlement, un gouvernement, un impôt, une carte d’identité… Exactement comme les Etats-Unis d’Amérique. Pourquoi ? Pour être puissant dans un monde de concurrence. Rester à 28 comme aujourd’hui, c’est comme si les 50 Etats américains ou les 33 provinces chinoises menaient tous des politiques différentes. C’est grotesque et complètement inefficace. Parce que réunir les peuples est une grande et belle idée qui vient de loin. Victor Hugo, fervent défenseur des EUE, déclarait au milieu du XIXe siècle : « Au XXe siècle, il y aura une nation extraordinaire (…) elle s’appellera Europe. » Parce que les jeunes générations sont déjà européanisées et que l’Europe est leur frontière naturelle. Enfin parce que c’est la merde, et que si ça continue, l’Europe sera tellement discréditée qu’il n’y aura plus d’Europe du tout, mais, à la place, un morcellement de nations ruinées prêtes à se refaire la guerre.
C’est dans les moments de grave crise qu’il faut savoir se dépasser. Le 16 juin 1940, Churchill proposait carrément à la France et à la Grande-Bretagne de fusionner. En vain. En septembre 1946, il récidivait : « Si les pays européens parvenaient à s’unir, leurs 300 à 400 millions d’habitants connaîtraient, par le fruit d’un commun héritage, une prospérité, une gloire, un bonheur qu’aucune borne, qu’aucune frontière ne limiterait. Il nous faut ériger quelque chose comme les Etats-Unis d’Europe. »
On est en 2014. Il serait peut-être temps de s’y mettre.
Image à la une : manifestants ukrainiens pro-européens à Kiev
Une chronique publiée, à l’origine, sur le blod d’Usbek&Rica