Le gouvernement local avait récemment interdit le concert de Kraftwerk, avant de reculer.
Début novembre, Horacio Rodríguez Larreta, le maire de Buenos Aires, demandait l’annulation du concert de Kraftwerk, qui devait se tenir dans la capitale le 23 du mois. La raison ? L’utilisation par le groupe allemand de « synthétiseurs et de samplers en tant qu’instruments principaux », comme le rapporte le média Clarin.
Une décision qui intervenait en réaction à la mort par overdose de cinq personnes en avril dernier, lors de l’édition sud-américaine du festival Time Warp. Revirement de situation il y a quelques jours : Move Concerts, l’organisateur du concert qui a fait appel de cette décision, est finalement parvenu à maintenir l’événement. Kraftwerk a donc pu assurer son concert, mais ce blocage est à l’image d’une véritable guerre engagée par le gouvernement local à l’encontre de la scène électronique.
Premières censures
Comme le raconte Thump dans une enquête publiée en mai dernier, c’est en 2004 qu’émergent les premières tensions entre les autorités et les différents acteurs de la scène électronique, lorsqu’un feu se déclenche à l’intérieur du nightclub República Cromañón et fait 194 morts. C’est à la suite de cet événement que DJs et promoteurs subissent les premières censures culturelles.
Pourtant, comme le rappelle Barem, DJ originaire de Buenos Aires, c’est un groupe de rock, Callejeros, qui jouait ce soir-là devant 3 000 personnes. « Je me souviens qu’on pensait ‘pourquoi est-ce que nous sommes punis pour la stupidité de quelqu’un qui n’appartient pas à notre mouvement culturel ? » Il ajoute : « c’est comme si aujourd’hui la scène reggae était punie pour notre tragédie. »
Time Warp
Mais c’est véritablement le 16 avril que la confrontation s’embrase. La troisième édition sud-américaine du festival Time Warp se clôture sur le bilan tragique de cinq décès. Des personnes âgées de 20 à 25 ans qui ont succombé à une overdose de drogues. « Depuis les récents incidents, beaucoup de boites ont suspendu leurs évènements liés à la musique électronique, certaines de façon provisoire, d’autres ont dû fermer », nous confie le DJ argentin Franco Cinelli.
Deux semaines plus tard, une ordonnance du tribunal du juge Roberto Gallardo interdit « toute activité commerciale qui comprend de la danse sur du live ou de la musique enregistrée », à l’exception des danses traditionnelles telles que le tango argentin.
Gallardo s’en prenait à ses détracteurs en déclarant à Thump que le pays doit contrôler les évènements publics afin de « garantir l’intégrité physique et la vie des consommateurs.» En ajoutant « personne ne devrait reculer devant ses obligations légales, ou rester impuni face aux dommages qu’il a causé. »
Une application difficile
L’interdiction a finalement été restreinte aux évènements similaires au Time Warp. Depuis six mois, les autorités ont resserré l’étau sur des évènements davantage grand public. Concernant les clubs locaux, des rondes s’organisent dans certains clubs, selon Thump.
Ils sont la plupart du temps confrontés à des fermetures temporaires. Barem explique : « Dans certains cas, les inspecteurs vont dire aux DJs de jouer autre chose, comme du rock, du hip hop, du reggae ou de la pop. Il est possible que les clubs commencent à limiter le nombre de soirées électro. Le problème c’est que le mouvement aujourd’hui est vingt fois plus gros qu’en 2004. Ça sera difficile de le contenir. »
Mais le nerf de cette guerre serait une « corruption endémique », entre organisateurs d’évènements et officiels, qui serait en train d’abattre la vie nocturne. « De nombreux organisateurs d’évènements ont dans la poche des officiels locaux » peut-on lire dans l’enquête de Thump, qui a recueilli le témoignage du DJ Martin Nardone : « Toutes les grosses salles paient les inspecteurs du gouvernement, mais les petites salles n’ont pas autant d’argent et finissent par fermer. »
Pour Franco Cinelli, on ne peut pas véritablement parler de tensions entre DJs et autorités. Seulement d’un manque de connaissances de la part de ces dernières, « je trouve que ceux qui contrôlent les lois et les évènements sont déconnectés de la réalité. Si on ne change pas cela, les musiciens et les DJs vont en porter le poids, et c’est l’intégralité de la scène d’un pays aussi important que l’Argentine, qui va être touchée. »
Lors de l’entretien qu’il nous accorde, Barem revient sur l’épisode Kraftwerk, « le concert devait être annulé à cause de l’usage de synthés et de samplers comme instruments principaux. Mais aucun problème avec le hip-hop, n’est-ce pas ? Comme si c’était fait d’une manière différente. »
Selon lui, les choses devraient reprendre leur cours normal une fois que les yeux seront détournés du Time Warp, « jusqu’à la prochaine tragédie« . Il souligne cependant que le plus important est qu’ « aucune de ces interdictions n’apprend aux jeunes quels sont les dangers relatifs à certaines drogues, il est donc probable qu’une telle tragédie se reproduise encore. »
À miser sur la répression plutôt que sur la prévention, les politiques perpétuent les mêmes erreurs bercées d’ignorance, à l’égard de la culture électronique.
Visuels : (c) Morten Jensen – Kraftwerk