Enfin une réponse à la question que tout le monde se pose.
La radio publique américaine NPR s’est lancée un véritable défi en termes d’investigation. Sous la pression intense d’une communauté internationale en attente de réponses, ce média courageux a osé poser tout haut la question que l’on se posait tout bas. Mais enfin, pourquoi n’existe-t-il pas d’émoji houmous ?
La réponse est intéressante (promis)
Les premiers émojis ont été créés au Japon, par le designer Shigetaka Kurita. (Le MoMa de New York vient d’ailleurs d’acquérir les tout premiers jamais dessinés.) Parmi les aliments représentés, beaucoup sont d’origine asiatique: ramen, nouilles, sushi, etc.
Ces dernières années, le Consortium qui gère l’élaboration des émoji (oui, il y a un Consortium) s’est appliqué à offrir une diversité culturelle plus large aux émojis alimentaires, “afin de maintenir le status quo”, précise NPR. Pizza, frites, croissant, bacon… Chaque culture y va de son coup de pression pour obtenir au moins un aliment symbolique.
émoji taco
À tel point que l’émoji devient une réelle revendication politique. Taco Bell a récemment mené campagne pour qu’un émoji taco soit disponible (on remercie les gens qui savent mener de vrais combats). Une campagne avec le hashtag #porróemoji s’est même tenue sur Twitter pour inclure sur WhatsApp un émoji porrón, ce pichet à vin traditionnel espagnol.
Mais pour le houmous, pourtant traditionnel dans de nombreux pays du moyen-orient, les designers rencontrent un problème de taille : il est très difficile à représenter. Depuis qu’on a vu avec l’émoji aubergine qu’un simple légume pouvait engendrer un scandale diplomatique, on comprend que des pincettes soient prises avec le houmous. Car il ne faut pas sous estimer l’importance socio-culturelle de l’émoji alimentaire.
Pour contrer des allégations d’ethnocentrisme, un ancien journaliste du New York Times a créé Emojination, un processus de proposition d’emoji, voué à les rendre plus représentatifs. « Il faut des designers, des linguistes, des personnes avec un parcours différent, plus ouvert », explique-t-il.
Do you speak emoji ?
Vous allez penser qu’on prend tout ça très au sérieux. Mais selon de nombreux chercheurs, on aurait tout intérêt à le faire. L’utilisation de ces pictogrammes pourrait devenir une langue à part entière. Une sorte de supra-langage compréhensible dans n’importe quel pays, qui pourrait (et peut déjà) mettre en contact des personnes ne parlant pas la même langue.
Certaines incompréhensions sont pour l’instant liées à des différences culturelles fondamentales (cf l’aubergine censurée). Mais peu à peu, les émoji créent leurs propres références, leur propre grammaire, leur propre symbolique. Les néophytes apprennent les fondamentaux de cette langue sur les différents réseaux sociaux. Certains ont même commencé à ne communiquer qu’en émoji, tel le joueur de tennis Andy Murray après son mariage :
Sur iPhone, la nouvelle mise à jour d’iOs propose même de remplacer automatiquement un mot par un émoji. Facebook permet, depuis février, de liker (ou pas) les publications à l’aide d’un panel d’humeurs constitué d’émoji, et Instagram de rechercher des publications à l’aide de ces petites têtes jaunes plutôt que des mots.
Appauvrissement du langage ?
L’utilisation d’émoji peut-elle changer le contenu de nos propos ? Pour le savoir, un couple avait tenté, en 2014, de ne parler que par émoji, photos et stickers pendant un mois. Leurs impressions après cette expérience avaient été diffusés sur WNYC, la radio publique new-yorkaise.
Parmi leurs observations: « J’avais beaucoup plus envie d’envoyer des messages mignons, un peu niais, comme des petits coeurs, car il suffit de taper sur une touche pour le faire. » À leurs côtés, des linguistes analysaient ces nouveaux comportements. Notamment le fait qu’une image entraîne une compréhension plus rapide qu’un mot. Les émoji pourraient être une manière d’assimiler des propos plus vite, au rythme de nos communications, qui se font de plus en plus rapides.
Comme toujours avec les évolutions technologiques, nombre d’observateurs s’empressent d’annoncer qu’elles détruiront la richesse de notre langage.
Mais dans une enquête réalisée par Le Monde, la linguiste spécialiste du web Gretchen McCulloch répondait que cela constitue plutôt un enrichissement, qui permet de retranscrire les émotions. Lorsqu’on sait que pendant une conversation, le langage corporel compte pour 55% de la compréhension d’un propos, un clin d’oeil ou un baiser envoyé par emoji pourraient donc remplacer les mouvements du corps dans une conversation digitale.
Dans tous les cas, le pouvoir de l’émoji n’est plus à prouver depuis qu’il a envoyé un adolescent en prison aux États-Unis et que les diplomates les utilisent pour représenter les chefs d’États (notamment Vladimir Poutine avec une tête d’alien). On est pressés de voir ce qu’ils nous réservent pour 2017.