L’ennemi du stream a fait ses comptes.
Depuis ce vendredi, deux albums solo de Thom Yorke, The Eraser (2006) et Tomorrow’s Modern Boxes (2014), ainsi que sa première sortie sous le groupe Atoms for Peace, Amok (2013), ont fait leur retour sur Spotify. Des disques qui avaient disparu de la plateforme de stream en 2013, suite au coup de gueule du leader de Radiohead et de son proche collaborateur Nigel Godrich, qui en faisaient le « dernier pet désespéré d’un cadavre agonisant », un outil incapable de soutenir le travail des jeunes musiciens qui « ne percevront rien alors que les actionnaires s’en mettent plein les poches. » Aujourd’hui, Thom Yorke fait volte-face, et pour Sophian Fanen, l’auteur de Boulevard du Stream, la raison de cette réconciliation avec le stream est très simple : « Il a fait ses comptes ».
« Il a fait ses comptes »
En 2007, Radiohead sort son septième album, In Rainbows. Pour sa distribution, le groupe choisit de le mettre en libre téléchargement sur un site internet qui invite l’internaute à définir son propre prix d’achat. Six ans plus tard, Thom Yorke revient dans une interview pour le site mexicain Sopitas relayée par le Guardian sur cette opération en accusant Spotify de vouloir saboter la relation des artistes avec le public :
« Quand on a fait ce truc avec In Rainbows, ce qui était le plus excitant c’était cette idée d’avoir une connexion directe entre le musicien et le public. (…) Et tous ces emmerdeurs s’en mêlent, comme Spotify qui tout d’un coup se prend pour le gardien de tout ce processus. On a pas besoin de vous pour faire ça. Les artistes n’ont pas besoin de vous pour faire ça. On peut construire cette merde tous seuls, donc allez vous faire foutre. »
La première revendication du leader de Radiohead à l’encontre de Spotify concerne la rémunération des musiciens. En 2013, il dénonce publiquement les pratiques de la plateforme, qui ne paierait pas, ou en tout cas pas assez, les jeunes artistes. « L’attaque était mal venue, en fin de compte, le problème de la rémunération des artistes sur le streaming n’est pas entre Spotify et les artistes, mais entre les maisons de disques et les artistes (…) Spotify donne le maximum possible. Par contre, il y a des maisons de disques qui ne le font pas », souligne Sophian Fanen.
Il poursuit : « Thom Yorke a une vision du monde de la musique qui date du CD, du vinyle, des années 90 », aujourd’hui, les artistes se détachent des maisons de disques et prennent en charge production, promotion et distribution. Ils récupèrent donc un pourcentage plus conséquent des revenus générés par Spotify ou d’autres plateformes de stream. « Thom Yorke a sûrement encore un vieux contrat en maison de disques avec XL Recordings. Le label va encore garder 50, peut-être 60, 70% des revenus du stream. Les petits artistes gagnent plus d’argent aujourd’hui, parce qu’ils sont plus autonomes. »
Thom Yorke n’a pour l’instant fait aucun commentaire sur ce retour au stream et aux plateformes qu’il méprise depuis plusieurs années. Pour rappel, Youtube en prenait également pour son grade en 2015 dans une interview accordée au journal italien La Repubblica, accusé par l’artiste de voler l’art comme « les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale ». Ce qui ne l’a d’ailleurs pas empêché d’y poster de nombreux clips de Radiohead.
« Il faut que les artistes s’y intéressent »
Pour Sophian Fanen, les artistes ne peuvent de toute façon plus feindre l’indifférence face au stream. « Le streaming c’est avant tout un changement d’usage, de la façon d’écouter la musique. Ça c’est la révolution majeure dans l’écoute, la révolution qui est née à partir de 2007 avec les premières plateformes. Et aujourd’hui, le monde de la musique est en train de vivre une révolution, celle de son modèle économique, et il faut que les artistes s’y intéressent. »
Visuel : © Jim Bennett / Getty Images