Les mots clés sont remontés au haut des pages de TikTok aux États-Unis ces derniers jours : “Cute Winter Boots”. Traduit par “Jolies Bottes d’Hiver”, ça a tout l’air d’une mode futile d’habillement… Sauf qu’elle cache un nom de code qui est parvenu à tromper l’algorithme et éviter ses restrictions opaques.
« Salut les gars, regardez mes nouvelles jolies bottes d’hiver » : c’est ce que répète un tas d’américain‧es dans des vidéos TikTok, depuis quelques jours maintenant. C’est carrément devenu une « trend » (pour nos non-anglophones, ça se traduit par “mode”, mais ça parle anglais sur TikTok…) et les mots clés regroupent de plus en plus de vidéos, mises en valeur par l’algorithme. Mais pourquoi ?
Le ton est celui de beaucoup d’influenceur‧euses : “Salut… Alors j’étais pas vraiment pour ces jolies bottes d’hiver, j’étais pas habitué à porter des grosses bottes rembourrées comme ça, mais voilà, je viens de déménager dans le nord et il fait vachement froid…” Épargnons-nous la suite parce que ce n’est vraiment pas intéressant… Ce qui nous intéresse, nous, c’est l’image. Notre TikTokeur ne nous montre pas du tout ses bottes d’hiver de toute façon. À la place, il tient dans ses mains une tablette sur laquelle défile un texte qui dénonce les agissements de la United States Immigration and Customs Enforcement (ICE), la police de l’immigration et des douanes américaines. Le message politique alerte sur les raids des agents du ICE : “Je pensais qu’ils ne venaient que pour les criminels, mais ils ont de plus en plus de permissions et entrent dans les hôpitaux, les églises, les écoles”
Tromper l’algorithme et éviter la censure
Pourquoi passer par ce détour de l’habillement ? Pour tromper l’algorithme de TikTok, pardi ! Et éviter la potentielle censure des messages politiques… Le réseau social utilise la reconnaissance vocale pour catégoriser les contenus qui défilent sur la plateforme : ce sont le son, le texte et les hashtags qui créent les catégories. Les internautes ont donc détourné ces outils pour pouvoir s’exprimer en toute confiance, et même faire grimper cette “tendance” à priori anodine des “Cute Winter Boots”.
« Shadowbans » et suppressions de contenu : des phénomènes suspects et opaques…
Cette mode des “Cute Winter Boots” est apparu peu après l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier, pour évoquer l’ICE, mais aussi un tas d’autres trucs. Globalement, ça permet aux internautes de critiquer les politiques de Trump dans leur ensemble. Étrangement, certain‧es ont remarqué (sans véritables preuves cependant) qu’écrire ou prononcer le nom « Trump » sur leurs vidéos les supprimaient ou invisibilisaient automatiquement, en les noyant loin dans l’algorithme… D’autres ont remarqué des phénomènes similaires, liées à des sujets tels que la communauté LGBTQIA+. Le 17 janvier, Florian Parent, un auteur indépendant de romances gays, a publié une vidéo sur Instagram, dans laquelle il explique une censure pour le moins suspecte… Après avoir investi sur Meta dans des publicités, dans l’objectif de promouvoir son travail, l’écrivain aurait reçu un mail de la multinationale qui lui annonce le blocage de ces mêmes publicités en Europe pour « contenus liés à la sexualité ou à l’orientation sexuelle ou s’adressant à des personnes ayant une identité de genre spécifique. »
L' »algospeak » : le langage crypté des réseaux sociaux
Cette petite tromperie ingénieuse porte un nom : “l’algospeak”. C’est le même principe que les émojis pastèque (🍉), qui ont été utilisés pour symboliser le soutien aux Palestiniens sans avoir à en faire directement référence et risquer le « shadowban« . Ainsi, sur TikTok, « sexe » s’écrit avec un “k” et “mascara” peut vouloir dire « pénis« . Quant à Instagram, le mot « viol » a complètement disparu, remplacé par » V i 0 l « , quand certain‧es ne préfèrent pas tout simplement biper ou mettre en sourdine les termes qu’ils savent susceptibles de faire supprimer leur contenu.