Entretien avec le vice-président du OFF, Nikson Pitaqaj.
Le 30 juillet dernier, le festival OFF d’Avignon clôturait sa 71ème édition. Nova a pris part aux festivités pendant quelques jours, l’occasion de constater l’énergie fascinante déployée lors de cet évènement exceptionnel, qui pose depuis des années ses lumières sur des centaines de compagnies et d’interprètes. Nikson Pitaqaj, nous le confie, se rendre à Avignon, « c’est une folie », une folie extraordinaire. Entretien avec le metteur en scène et vice-président du festival.
Comment se construit la programmation du OFF ?
N.P : La programmation du OFF se construit en lien entre les théâtres et les compagnies de théâtres. Nous n’avons pas de regard sur elle.
Combien de spectacles ont été présentés cette année ?
N.P : Dans le festival du OFF, nous avons 1480 spectacles et 130 lieux, qui, pour la plupart, ont deux voire trois salles. Il y a beaucoup d’espace de jeux. Il faut s’en féliciter, nous sommes heureux qu’il y ait autant d’acteurs culturels qui s’intéressent au théâtre. Ce qui est embêtant, c’est presque de ne pas avoir assez de public pour l’ensemble de ces spectacles qui se donnent.
Il n’y a pas assez de public, ça fait partie du jeu du OFF, c’est le risque ?
N.P : Le risque, on aime bien. On aime le danger. Mais les comédiens ne peuvent exister que si il y a du public dans la salle. Il y a beaucoup de risques, évidemment, c’est dur. Mais mon rôle en tant que représentant des compagnies, c’est de minimiser ce risque, voire de le faire disparaître. Et qu’il y ait des spectateurs pour tous. Car sans eux, il n’y a pas de spectacle.
On sait que ça coûte cher, beaucoup de théâtres sont en location de salle, l’hébergement coûte cher aussi, le festival coûte cher. C’est clair. Leurs recettes ne peuvent pas venir compenser l’ensemble des dépenses pour une compagnie qui vient dans le festival. Nous avons créé un fond de soutien à la professionnalisation cette année, pour soutenir les compagnies les plus fragiles, et les aider à rentrer dans le métier. Nous avons aidé 83 compagnies pour 205 interprètes en tout. C’est pas extraordinaire, mais ça vient aider ces compagnies. J’espère qu’on pourra en aider plus l’année prochaine.
Ici, il y a beaucoup de jeunes comédiens qui débutent, comment se faire remarquer ?
N.P : Il n’y a pas de recette miracle. Il y a la prise de risque parfois, le plaisir de partager avec le public. On voit souvent des jeunes comédiens qui ont beaucoup d’énergie, qui sont un peu inconscients, rentre dedans, et réussissent à percer. Il y a des jeunes comédiens qui sont venus ici, Olivier Py par exemple, il a fait le OFF et maintenant il est directeur du festival d’Avignon. Pour moi c’est un grand espoir pour ceux qui font du théâtre.
Il faut se rappeler que ce festival a quelque chose de particulier. Il s’est construit à partir des artistes. Ils ont été à côté du festival IN, ils ont décidé de jouer. Ils n’étaient pas invités à jouer dans le festival d’Avignon, et ils ont décidé de jouer quand même. Et sans le savoir, ils ont inventé le OFF.
Pour beaucoup de compagnies, le festival d’Avignon, c’est un peu le baptême du feu. Est-ce qu’il est plus dur aujourd’hui de percer dans ce milieu?
N.P : Chaque année, le OFF augmente. Chaque année, il y a de plus en plus de spectacles, donc c’est forcément de plus en plus dur. Il y a 166 pays étrangers présents cette année, nous avons commencé à réfléchir à notre développement, à créer des contacts avec ces pays. C’est une autre possibilité pour les jeunes comédiens, pour percer et de rentrer dans ce métier, il est fondamental de s’ouvrir un peu plus.
À la création du OFF, il y avait cette idée de théâtre alternatif, est-ce qu’elle persiste encore aujourd’hui ?
N.P : Oui, je pense. Il y a différentes formes d’ « alternatif ». Il y a celle que j’adore, ceux qui montrent des auteurs extrêmement engagés, il y a des projets très dérangeants. Et puis, c’est une forme d’alternatif, que de montrer des pièces qu’on ne voit pas dans le IN, les comédies de boulevard par exemple. Si le OFF n’existait pas, certaines pièces ne pourraient pas se jouer à Avignon.
Est-ce que le OFF a une relation particulière avec les pièces engagées? Cette année, on a l’exemple de la pièce posthume de Charb, la pièce de Mohamed Kacimi aussi, sur les échanges entre Mohamed Merah et la police notamment ?
N.P : Le OFF n’intervient pas là-dessus. Vous avez cité ces deux pièces mais à titre personnel, j’aimerais qu’il y en ait 20 de ce genre l’année prochaine. Ce sont des sujets qu’on vit pleinement tous les jours. Ils font partie de nous et ne pas les traiter, c’est ignorer ce qui se passe et ça veut dire se retrouver avec une société de non-dits et d’interdits. Avignon est le meilleur endroit pour répondre à ce genre de questions, notamment le OFF. Je suis ravie que des metteurs en scène aient pris le risque de travailler sur ces sujets qui sont très douloureux.
Pour vous, le théâtre doit jouer ce rôle?
N.P : Si le théâtre ne joue pas ce rôle, la société va mourir. Je dirai même que le théâtre doit avoir un temps d’avance sur ces questions là. Je trouve triste de ne pas voir plus d’auteurs français qui s’emparent de ces sujets. Ça me manque. On oublie que les plus grands auteurs de théâtre, Shakespeare pour n’en citer qu’un, n’a fait que ça de toute sa vie : écrire sur la cité et sur le monde politique qui l’entourait.