Vous en avez tous et toutes déjà vu une, une Vixen. Désirées, insultées, on ne connait jamais le nom des “meufs des clips de rap”. Tiens, en voilà une : Soraya Rhazel. L’une des cheffes de meute de ces renardes, devenue directrice de casting puis productrice, sort un livre aujourd’hui pour raconter son histoire, et celle de tant d’autres.
Elle a 1 000 tournages à son actif, 500 en tant que Vixen et 500 autres dans les coulisses, Soraya Rhazel est une des actrices de clip de rap les plus connues de France.
Égéries méconnues de l’image du hip-hop
Son visage est familier pour beaucoup d’amateur‧ices de rap, on l’a vue par exemple en soubrette exagérément sexy, amener les burgers aux convives du clip “Mégadose” de Vald, burgers qui mèneront les convives à l’overdose dans cette version rap de la Grande Bouffe, vue plus de 15 millions de fois sur Youtube. Il y a presque 10 ans, elle était bionique sur le clip de « Martin Eden », l’un des premiers succès de Nekfeu, ou plus récemment sur le « Bonbon à la Menthe » de Jok’Air et Mallaury, et « ASAP« , sorti en 2021 par Gazo.
Vixen : renardes, femmes fatales, gros caractère
La profession de Soraya Rhazel ? “Vixen”. Un terme américain qui se traduit par “renardes”, ou en argot : « femmes fatales« . Si au temps de Russ Meyer, le terme renvoyait à ces actrices à gros seins et gros caractère, aujourd’hui le bonnet est variable (bien que la plastique toujours mise en avant) et le caractère toujours aussi trempé. Ce mot « Vixen », désigne maintenant celles que la plupart appellent « les meufs des clips de rap« . Des femmes hypersexualisées, à la fois danseuses, comédiennes, performeuses, pour certaines spécialistes de la pyrotechnie ou gymnastes… Pour certaines, la danse est une passion et la filière Vixen constitue une solution concrète pour financer leurs projets, elles sont « Belles déterminées fortes (…) elles sont mères, cheffes d’entreprise, étudiantes. En somme, potentiellement une sœur, une tante, une collègue ou une amie » écrit Soraya Rhazel.
Tournages d’adolescente, sororité et prédateurs
On ne connait pas leur nom, en voilà un : Soraya Rhazel fait partie de la première génération de Vixen. Dix ans après ses débuts, elle publie aujourd’hui son premier livre. Baptisé Vixen, Les égéries oubliées du Rap, l’ouvrage retrace son parcours intime et professionnel et nous plonge dans les coulisses du métier. Elle raconte sa passion du rap, l’indépendance, les allié‧es (on lit son immense respect pour Booba, entre autres rappeurs professionnels et respectueux du travail des vixens), la sororité et la méfiance. Soraya Rhazel rejoint les pionnières, la première génération de Vixens à l’adolescence. On apprend par exemple que les professionnels du milieu ne lui demandaient pas son âge lors de ses premiers shootings et tournages, à ses quatorze ans. Ainsi, pendant quatre ans, la jeune femme aura dix-huit ans.
« Une Vixen, en choisissant de se dévêtir dans un clip, signe son suicide social »
Les Vixens sont très peu respectées, méprisées par certaines féministes qui les accusent de jouer le jeu du patriarcat, et jamais (ou presque) créditées au générique des clips pour lesquels elles travaillent.
« Une vixen, en choisissant de se dévêtir dans un clip, signe son suicide social » écrit Soraya, racontant le destin tragique d’une dénommée « Saphir », étoile montante brisée par un proxénète. « Nous sommes le paillasson sur lequel les hommes du métier s’essuient les pieds » abonde encore l’autrice, qui observe un paradoxe dans l’exercice de sa profession : « J’entends que la voie que j’ai choisi d’emprunter peut paraitre au premier abord ( et même au deuxième et troisième) à des kilomètres de la représentation idéale de notre quête d’égalité, d’équité et de liberté féminine, elle commence, pourtant, je pense sincèrement que ce travail est, à bien des égards, profondément féministe. »
« Porter plainte, pour une Vixen, ce serait vu comme un canular »
Une partie du livre est consacrée à l’omerta, qui règne en maître dans le milieu : Soraya Rhazel évoque ainsi deux prédateurs et agresseurs influents dans la sphère rap, qu’elle baptise de surnoms pour raconter leurs terribles agissements, certainement par peur des représailles. L’un se nomme « Saint-Michel », l’autre « Treize », parce qu’il « porte la poisse comme un vendredi 13, pue la pisse froide comme la ligne de métro » et comptabilise pour l’heure treize victimes qui ont parlé à l’autrice. Elle raconte la difficulté de porter plainte, « déjà, porter plainte pour viol, pour une fille lambda, c’est se confronter à des discours suspicieux, mais alors pour une Vixen, ce serait carrément perçu comme un canular ».
Notons alors l’appel à témoignages qui clôture le livre, avec un contact associé aux nombreux numéros d’écoute, pour peut-être encourager à mettre un nom (et un procès?) sur ces affreux personnages décrits dans le récit.
Première directrice de casting Vixens
Soraya Rhazel raconte aussi la professionnalisation de son métier, puisqu’elle est devenue la première directrice de casting pour Vixens. C’est elle qui a convaincu ses collègues de se faire payer en facture, comme auto entrepreneures.
Sous la plume de Soraya Rhazel se dessine l’histoire d’une profession trop méprisée alors que plus qu’importante dans l’histoire du hip-hop. On en retient la puissance des Vixens, très bien illustrée par cette citation, lorsque Rhazel évoque les humiliations qu’elle subissait dans sa ville du 92 : « Aujourd’hui les garçons du bus n’osent plus croiser mon regard. Quand vous avez dansé en string dans les quartiers préférés de BFMTV et que vous êtes parvenue à vous faire respecter toute seule parmi ces hommes que les enfants de bourgeois ne côtoient que dans leurs fantasmes, je vous garantis que vous n’avez pas peur de trois sales gosses lorsqu’il s’agit de leur dire de baisser les yeux s’ils ne veulent pas gouter à la gifle que leurs nourrices ont oublié de leur donner. » Et vlan.