La chronique de Jean Rouzaud.
Antonin Artaud est une célébrité méconnue : il a fait tant de choses qu’il en est inclassable. Il est allé si loin et si fort que la société l’a condamné comme fou, l’a enfermé, avec traitement aux électrochocs…
Ce qui ne l’a pas empêché de penser, d’agir, d’écrire, de jouer au théâtre et au cinéma, de créer des revues et des dessins, d’aborder tous les sujets, dont le théâtre et l’Art, mais aussi la politique, la morale, les mœurs, les drogues (il est allé jusqu’au Mexique pour étudier le Peyotl).
Rejeté, encensé
Tous les artistes de son temps l’ont approché, écouté, encensé… Il se trompait peu, critiquait les faiseurs et menteurs, se faisait abominer et ensuite les mêmes revenaient le chercher (comme le censeur Breton).
Sa vie trépidante et pathétique l’a effectivement porté au bord de lui-même, mais il revendiquait son chamanisme, ses illuminations, ses éclairs, son don de divination et sa sensibilité fantastique…
Il a influencé un grand nombre de gens par sa radicalité, son engagement : il a jeté les bases d’une nouvelle manière de voir le monde, plus engagée, sensible, humaine.
La société ? Un cimetière peuplé de zombies écrasés de paresse…
Il a demandé aux hommes de ne pas se contenter d’exister, mais bien de « vivre »… Il considérait la société comme un cimetière ou les êtres étaient comme des zombies, écrasés de conventions, de paresse, de peurs inventées et imposées par les lois.
En 1948, juste avant sa mort (il a 54 ans), il écrit un texte court, mais incandescent sur « Van Gogh, le suicidé de la société ». Il y défend avec acharnement et génie, Vincent Van Gogh, son frère dans la vision et le travail acharné, et déclare qu’il ne s’est pas suicidé, mais que la société, (même de ses amis), l’a tué… « l’enfer est pavé de bonnes intentions » !
Mais surtout, dans ce petit hommage polémique, il décrit les toiles de Van Gogh, comme aucun ne l’avait fait : des détails aux couleurs, mais surtout ce qu’elles évoquent de vision du monde, de reconfiguration des choses, des formes, du dessin, de la transfiguration des objets.
Comme lui, Van Gogh fut un « voyant », un illuminé, un être doué dont le regard traversait tout, un magicien qui transfigurait la nature…
Ils brûlent leur vie avec intensité, et personne n’a envie de se brûler avec eux…
Car tous deux sont des sorciers, des sortes de supra humains, monstrueux ou insupportables pour les autres, ils brûlent leur vie avec intensité, et personne n’a envie de se brûler avec eux…
Tous deux considèrent le monde comme dégénéré et endormi, et cherchent à le ré-enchanter, par le théâtre ou la peinture, à retrouver l’étincelle qui illuminera le présent éteint.
Dans ce texte, Artaud passe des imprécations contre un monde affreux et injuste, aux plus exquises nuances sur la couleur ou la façon de faire de Van Gogh, qu’il examine avec une lucidité sidérante.
Artaud y dénonce le dérèglement, déclarant que ce n’est pas l’homme, mais bien le monde qui est devenu anormal, qui piétine ses plus grands artistes, les condamnant à mort…
Van Gogh, le suicidé de la société. Par Antonin Artaud. Aux éditions Allia. 80 pages. 6 euros 50 (allez voir la filmographie (!) d’Artaud, ses centaines d’essais et d’écrits et son influence sur les Lettristes, Situationnistes, Beatnicks, Hippies, Mai 68, les intellectuels de gauche, le Living Theatre, la chanson…)
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