« The Valley of Astonishment » de Peter Brook aux Bouffes du Nord.
Top Top Top, 3 coups, le rideau se lève.
Onomatopée approximative pour un théâtre redoutable de précision psychologique. On parle de la nouvelle création de Peter Brook au théâtre des Bouffes du Nord à paris jusqu’au 31 mai.
The Valley of Astonishment est le deuxième volet d’une recherche théâtrale autour du cerveau humain, menée par le metteur en scène de génie britannique et par Marie-Hélène Estienne. Sobriété et délicatesse habituelles de la mise en scène pour une heure de poésie remarquable.
3 acteurs et 2 musiciens habitent avec virtuosité l’espace scénique de leurs histoires croisées, marquées par l’extraordinaire de leur activité cérébrale. Ils sont beaux du cerveau en quelque sorte.
Une journaliste devenue artiste de cabaret, la fabuleuse Kathryn Hunter (dont je salue ici la performance idéale) récite, sans connaître l’italien, le début de l’Enfer de Dante ; sa mémoire est absolue. Depuis sa toute petite enfance, elle donne, dans sa tête, formes, corps, et matières aux syllabes, aux mots, et aux nombres aussi, jusqu’à envahir son espace intérieur de tout un bardas inutile et oppressant.
Un homme atteint de synesthésie associe les lettres aux couleurs, attribue secrètement aux prénoms des gens des gammes chromatiques, peint le jazz en toiles monumentales. Un paralytique s’aperçoit qu’il peut commander par son seul regard des mouvements à ses membres morts et devient son propre marionnettiste.
3 individus à l’anomalie miraculeuse qui toujours frôlent la damnation ; dans une société régie par la norme on passe facilement du don au fardeau et le talent ne garantit pas la sérénité. Ils sont le temps d’une heure, analysés au centre de recherche cognitive par des savants confrontés à l’insondable de l’esprit humain, à la difficulté de sa qualification scientifique, à sa grandeur, à sa beauté, à sa détresse aussi.
Peter Brook est l’homme de l’humour qui révèle le drame et du drame prétexte à l’humour, il baigne sa création d’une humeur légère, absurde, pour mieux mettre soudainement en lumière les émotions profondément humaines qui l’habitent.
Dans un procédé proche de la science fiction, ces destins débordent les cadres instaurés par la société, ils deviennent bêtes de foire, «fous» aux yeux de l’ordinaire, mais ne proposent finalement qu’une humanité augmentée, grossie pour mieux s’y connaître.
Du rire au larmes, on s’y connaît et s’y reconnaît avec l’étonnement promis, jusqu’au final universel d’un simple morceau de flûte dans le silence pour faire communier les différences.
“Si nous allons au théâtre, c’est parce que nous voulons être surpris, émerveillés. Mais cela ne peut se faire que si nous sentons que cela nous concerne. L’ordinaire et l’extraordinaire- ces deux éléments contraires- doivent se rencontrer. (…)
Aujourd’hui, à travers cette nouvelle recherche autour du cerveau, nous allons entrer dans la vallée de l’étonnement. Nous voyagerons dans des territoires inconnus -dans la vie secrète de personnes qui vivent des expériences si intenses qu’elles les cachent aux autres – mélangeant sons et couleurs, goûts et mots, mémoires et images avec une telle intensité qu’elles passent en un instant de l’enfer au paradis.”
Peter Brook & MH Estienne.
The Valley Of Astonishement, jusqu’au 31 mai au théâtre des Bouffes du Nord : une recherche théâtrale de Peter Brook et M-H Estienne, avec Kathryn Hunter, Marcello Magni, Jared McNeill, et les musiciens Raphaël Chambouvet et Toshi Tsuchitori, Spectacle en anglais surtitré en français, durée 1h10.