Tiki Pop : peut-on transformer un crucifix en porte manteau ?
Les Américains ont phagocyté les images exotiques des polynésiens (dieux, totems, maisons et artisanat..) en fantasmes de vahinés, hula hop et autres cocktails étranges… Les statues d’ancêtres (TIKI) sont devenus des Mugs, chopes à bière, cendriers, pieds de lampe , bouteilles de sauce en plastique et même en savonnettes. Les grandes huttes de chefferies en pointe devinrent le modèle de bars lounge, avec serveuses vahinés … blondes !.
Faut-il rire ou pleurer de cette appropriation bestiale et totalement méprisante pour l’âme d’un peuple aux territoires immenses ?
Des marquises à Hawaii, de ‘île de Pâques à la Nouvelle Zélande. Les routes des Maoris se croisent sans fin…Après Pearl Harbour (sur Hawaii, colonie américaine), et la guerre du Pacifique, le repos du guerrier qui a vu du pays, se doit d’être ensoleillé, fleuri, quel meilleur modèle que ces iles paradisiaques ?
Déjà les années 30 avaient sérieusement lorgné vers les pin up aux seins nus, les vahinés de Pierre Loti (pas les maoris massives de Gauguin !) et les petites guitares ukulélé, les fleurs de Tiaré.. Après l’épopée du Kon Tiki (refaire le trajet Maori en radeau) et avec les révoltés du Bounty (2 ou 3 ? et qui se passe à Tahiti) Brando va inconsciemment marquer ces îles du sceau du glamour.
Et l’Amérique va récréer sur son territoire ( Californie et Floride) des lieux « reconstitués » polynésiens, avec colonnes en bois, Tikis partout, paille et bambous, fleurs, palmiers et masques sculptés.
Une industrie TIKI va imprimer des chemises à fleurs, oiseaux, statuettes, pirogues, palmiers, mais aussi multiplier en céramique des verres, lampes, cendriers, cuillères … Tikis ! et aussi des architectures, parfois immenses de huttes hawaïennes, avec pierres, bois et pailles.
Jusqu’aux tabourets sculptés façon maoris, portes et colonnades gravées, pailles et panneaux aux motifs géométriques hawaïens. Les boites d’allumettes, dépliants, cartes postales, programmes, menus, photos, plans, foulards, listes de cocktails, films, magazines, disques et romans de gare deviennent le Merchandising fou du style Neo Hawaii, paradis supposé cool et sexy.
Life multiplie les reportages, il y a des architectes spécialisés pour ces lieux multi taches « bar resto boite club », façon Hawaii. Mini jupe en rafia et long cheveux avec fleur pour les serveuses et pour ces messieurs, chemises et guitares hawaïennes.
Les sons étirés, sinuants, totalement réinventés de la musique ondulante. Imaginée par les américains pour ces lieux de consommation, cor-respondent à l’ idée qu’on veut s’en faire : farniente, danse des filles, hamacs et huttes ombragées, meublées de statuettes et panneaux déco.
Il y aura des TIKI BAR un peu partout aux US… il en reste des boites d’ allumettes , des dépliants et des photos spectaculaires de lieux parfois très grands et luxueux, pour une clientèle plus aisée, avec cuisine parfumée des iles et spectacle typique.
Mais que dire de cette sous culture qui a transformé des petits dieux tutélaires en verres à boire et des princesses en serveuses ?.. L’impression d’un immense gâchis de la vraie culture polynésienne, raffinée et planante, forte et poétique, clonée en grand marché de la consommation de loisir de masse.
Les immenses verres à cocktails, les énormes colonnes en bois sculptés n’arrivent pas à cacher la totale perte d’âme et de spiritualité de cette sous culture américaine : dollar- exotica !
Seul le SURF à un peu échappé au massacre , car il faut quand même braver les éléments et se perdre dans les vagues…Bien sur on est loin des pirogues au long cours et de la science des océans que maitrisaient ces polynésiens magiques… Leurs tatouages aussi se promènent un peu partout sur la planète, dénaturés et un peu absurdes malgré leur beauté plastique.
Mais si leur art, leur cuisine, ou leurs danses nous plaisent tant, si leurs mœurs, leur vie et leur énergie nous fascinent, alors retrouvons leur vraie histoire, leur incroyable saga, au lieu d’un stand d’objets rétros – même si certains éléments de cette réinvention kitsch et fantasmée ont atteint à une certaine beauté néo- fifties, comme si l’universalisme des formes, des gravures et des volumes polynésiens pouvaient s’adapter à tout, se marier élégamment à la vanité d’un bar à cocktail, à la vulgarité d’une chemisette de plage imprimée, devenue une emblème de la culture beauf américaine .
TIKI POP – L’ Amérique rêve son paradis polynésien . ( Objets, photos, livres, magazines…) Musée du Quai Branly . jusqu’au 28 septembre.
BORN BAD – 17, rue Keller. Boutique unique d’amateurs rétros éclairés dont quelques éléments de la culture Hawaii, dite TIKI .
Détail amusant : sur la mezzanine de Branly, en face de Tiki Pop et de l’Amérique triomphante des fifties, l’exposition des affiches vietmin qui martèlent : « chassons ces américains, « Refoulons ces tigres de papier, « 1000 avions US abattus , victoire !! ( Défaite US au Vietnam)
Les sixties ou le début de la chute de l’empire américain ?