Retour sur un épisode méconnu de la vie de l’autrice de la trilogie Vernon Subutex et de King Kong Théorie, Virginie Despentes, alors que “Cher Connard”, son dernier ouvrage, peuple les rayons des libraires en cette rentrée littéraire.
Le 13 avril 1986, dans l’hebdomadaire l’est républicain, on pouvait lire les méfaits de Caroline, 17 ans, et de Virginie, 16 ans, convoquées au commissariat de Nancy pour une affaire de tag. “Tous des Crabes”, “Vive le Feu” ou “86, génération de bouffon”, les murs sont redécorés de slogans accrocheurs, ainsi que de noms de groupes qui sévissent à cette époque dans le punk underground français : Bérurier Noir, Ludwig von 88…
Les Béruriers, Cara Zina et Virginie Despentes (parce qu’il s’agit bien d’elle) les connaissent bien. Elle les a vus en concert un nombre incalculable de fois, Marsu, manager du groupe et occasionnellement posté devant les portes des salles où jouent ses protégés, finira par la reconnaître, et la fera rentrer à l’œil.
On a là les premiers exploits d’une bande qui fera du bruit par la suite, mais avant ça il faut changer de décor. Les deux acolytes débarquent vite à Lyon. Elles y découvrent une ville où les squats pullulent et Virginie trouve un taf dans un disquaire, Attaque Sonore. Lyon, c’est aussi une cité où émergent de nombreuses radios libres (Radio Bellevue, Radio Canut…), et des émissions qui s’intéressent à un genre intriguant : le rap.
Du Punk au Rap
Alors que les eighties touchent à leur fin, la musique de Public Enemy fait l’effet d’une bombe. Virginie, Caro et beaucoup d’autres membres de la sphère punk vont voir dans les membres du groupe rap east coast de nouveaux porte-étendards de valeurs qui animaient la scène punk.
Ils ont une attitude et un style féroce (le public lyonnais pourra le constater quand ils passent au Transbordeur en 90), placent dans leurs instrumentales des samples de rock (on trouve Fame de David Bowie dans Night of the Living Baseheads) et leurs textes ont une réelle portée sociale, n’ont pas peur de parler de racisme et d’injustice sociale.
De plus, de nombreux ponts s’établissent entre les protagonistes de la culture hip-hop lyonnaise (la ville est depuis longtemps bercée par le funk, donc le hip-hop, basé en grande partie sur des samples de soul et de funk, n’a aucun mal à s’y ancrer) et les punks mordus des Bérus. Par exemple, beaucoup sont graffeurs et remontent tous les week-ends à Paris pour s’acheter des bombes de peinture qu’on ne trouve pas ailleurs.
Ces deux groupes ont également des ennemis communs : les skinheads qui ratonnent dans les rues du vieux Lyon. Une solidarité s’installe rapidement. Quand le Cool K, l’un des premiers Bar Hip-Hop de France, est visé par une équipe de skin, certains membres de la communauté punk viennent prêter main forte aux tenanciers.
C’est dans ce contexte un peu chaotique que Virginie et Caro décident de monter un groupe.
Straight Royeur
Après quelques répétitions, le groupe en devenir, composé de Virgine, Caro, Gilles Garrigos (ancien de Haine Brigade), Mohammed alias MC (il sera remplacé par la suite) se font appeler Straight Royeur (Royeur est inspiré de rouilleur, écrit de cette manière pour lui donner un style “anglais”). Le groupe a trouvé son ADN. C’est brut, c’est sincère, ça rassemble exactement tout ce qui les passionne à ce moment-là.
Dans leurs influences, on trouve aussi la musique de Yeastie Girlz, un groupe de rappeuses qui retournent les clichés machistes déjà présents dans le rap à ce moment-là. Dans leur album Ovary Action, on découvre des morceaux rappés sans instrumentale. Les Yeasties parlent de sexe, de censure, et proposent à ceux qui les saoulent de se barrer, ou de les sucer.
À Lyon, dans les murs du Cool K, nait donc un album qu’on pourrait voir comme le chainon manquant entre Yeastie Girlz et Public Enemy : Fear of a Female Planet, de Straight Royeur (référence complétement assumée à Fear of a Black Planet de Public Enemy).
La bande fera quelques concerts jusqu’à la dissolution du groupe en 92. Leur dernier morceau sortira un an plus tard, en 93. Même si une page se tourne, la passion pour la musique punk et les textes contestataires ne quittera jamais l’œuvre de Despentes.
Sources :
- Fear of a Female Planet “Straight Royeur, un son punk rap et féministe” – Cara Zina, Karim Hammou
Un texte issu de C’est Bola vie, la chronique hebdomadaire (lundi au vendredi, 8h45) de David Bola dans Un Nova jour se lève.