Le rêve américain vu par des immigrants latinos : un vrai cauchemar.
A quoi sert une frontière aujourd’hui ? A marquer encore plus les différences entre classes sociales si l’on en croit Rêves d’or, l’impressionnant premier film de Diego Quemada-Diez. Quatre mômes guatémaltèques décident d’aller voir si la vie est meilleure du côté de l’Oncle Sam. La feuille de route est simple : direction plein Nord à travers le Mexique, jusqu’au Rio Grande. Les multiples embûches vont la compliquer.
Rêves d’or renouvelle le principe du road-movie en le faisant virer à une grande aventure, celle de la vie de ces gamins. Ils ne cessent d’avancer, coûte que coûte, quel que soit le prix à payer, la perte de l’innocence ou la vie. Quatre destins qui en reflètent beaucoup plus si on en croit l’incroyable liste de noms de personnes remerciées au générique. Ceux des six cents migrants que Quemada-Diez a rencontrés pour documenter son film. Autant d’histoires condensées dans le périple de Juan, Sara, Samuel et Chauk, ces damnés de la Terre contemporaine, en perpétuel mouvement.
Quemada-Diez a pas mal bourlingué dans le cinéma, opérateur caméra pour Oliver Stone, Spike Lee, Alejandro Gonzalez Inarritu, Tony Scott ou Fernando Meirelles. Le genre de CV qui ouvre les portes d’Hollywood pour aller torcher du blockbuster à la pelle. Quemada-Diez a préféré creuser un autre sillon, pas loin de celui d’un Ken Loach, dont il a été l’assistant à la fin des années 90 : un regard cruel sur le système mais bienveillant sur ses personnages.
C’est à Cannes au printemps dernier qu’on a découvert Rêves d’or. Un festival qui avait décidé de prendre la parole à propos de l’immigration, sujet de plusieurs films présentés sur la Croisette, de L’escale (des migrants iraniens coincés en Grèce) à The immigrant (Marion Cotillard en polonaise débarquant à Ellis Island dans les années dans les années 20). Coïncidence: au même moment – le 15 mai- le président de la commission des finances au Sénat lâchait dans une convention UMP : » L’afflux des réfugiés africains à Lampedusa et bientôt chez nous me fait regretter la disparition du régime Khadafi en Libye« . Soit, en fait, pile-poil le sujet de Rêves d’or : comment les cendres du colonialisme et son mépris pour les pauvres de tous pays sont restées des braises chaudes attisées par la mondialisation.
Si le film de Quemada-Diez se déroule au Mexique (alors qu’il pourrait parfaitement délocaliser son histoire en Afrique ou en Europe de l’Est), c’est sans doute pour symboliser que la géo-politique moderne à fait glisser les frontières, pour passer des rapports Est-Ouest pendant la guerre froide à ceux Nord-Sud, à l’ère de la guerre économique. Et peut-être aussi un peu pour rappeler que le monde est revenu à une brutalité primitive, la même que celles des Westerns.
Rêves d’or en reprend d’ailleurs certaines bases : ces quatre mômes sont bel et bien les Indiens d’aujourd’hui, massacrés par les nouveaux cow-boys. Il y a même un train, cheval de fer prenant à son bord, les migrants pour les amener un peu plus près de la frontière. Sauf que Quemada-Diez affirme qu’il fait aujourd’hui un parcours inverse : à l’époque de la conquête de l’Ouest, le train était censé amener la civilisation dans des terres sauvages. Aujourd’hui, il est comme renvoyé à l’expéditeur, chargé jusqu’à la gueule de ceux qui espèrent trouver leur part du gâteau aux USA. Sans savoir qu’une fois là-bas, ils deviendront avant tout une marchandise, une main d’oeuvre.
Pas besoin d’extrapoler trop loin pour voir aussi dans des ces ados, une version actuelle des immigrants du XIXe siècle, ayant tout laissé derrière eux, n’embarquant dans leurs valises que l’espoir d’une Terre promise qui a fini par les exploiter. Rêves d’or confirme cette progression tragique jusque dans ses décors, jungle verte dans les séquences d’ouverture qui s’assèche, devient de plus en plus un désert.
En V.O , Rêves d’or s’intitule Jaula de oro. Le même titre qu’une corrido mexicaine de 1983. Ces chansons proclament depuis plus de deux cents ans les chants de doléances des péones opprimés, jusqu’à être devenu une sorte de tradition orale latino, des hymnes populaires aux sonorités folkloriques mais au contenu tragique.
En un couplet (« diez años pasaron ya, en que cruce de mojado, papeles no he arreglado, sigo siendo un ilegal/ Dix ans ont passé : j’étais un wetback, je suis toujours un illegal« ) et un refrain ( » De que me sirve el dinero, si estoy como prisionero,dentro desta gran nacion,cuando me acuerdo hasta lloro, aunque la jaula sea de oro, no deja de ser prision / A quoi sert l’argent si c’est pour vivre comme un prisonnier dans cette grande nation ? Quand on me le rappelle, je pleure : cette cage à beau être en or, elle reste une prison« ), Jaula de oro peignait le tableau des clandestins s’essayant au rêve américain dans les années 80. Trente ans plus tard, Rêves d’or, film aussi instructif que poignant, rappelle, que cette chanson reste non seulement d’actualité, mais que la situation a empiré.
En salles le 4 décembre.
Nantes
- Concorde 20h45
Rouen
- Omnia 19h30
Tours
- Studio 19h45
Lille
- Majestic 19H30
Lyon
- Comoedia 20h
Perpignan
- Castillet 19h30
Nancy
- Cameo commanderie 20h15
Caen
- Lux (salle Pierre Daure) 20h