La chronique de Jean Rouzaud.
Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitsky (1880-1918) fut poète, écrivain, critique et théoricien d’Art. On lui attribue l’invention du mot et du concept de « surréalisme », et du procédé « calligramme », poème écrit en forme de dessin.
Russe polonais par sa mère, il était le fils d’un camérier honorifique de cape et d’épée du pape… Après Rome, puis Monaco, où sa mère est fichée comme « femme galante » (entraineuse au Casino), ce sera, Cannes, Nice, où il excelle en classe…
Mondain sans monnaie
Déjà, sa vie est troublée, atypique, mystérieuse, pleine de contradictions. Puis Paris en 1900, où il est pauvre, il devient précepteur d’une vicomtesse, et écrit déjà poèmes et textes alimentaires…
C’est la Belle Époque, il est mondain et va faire connaissance du milieu littéraire (Alfred Jarry, Paul Léautaud, André Salmon…) Pour vivre, il travaille comme courtier pour des banques…Il est déjà un grand imaginatif et un grand amoureux déçu, de l’artiste Marie Laurencin, notamment.
Mais la mode des revues littéraires, des critiques et potins parisiens, lui permettent de survivre. Il devient ami de Picasso, et d’André Derain qui illustre son premier recueil publié par Daniel Henri Kahnweiler, marchand d’Art (titré L’enchanteur pourrissant, après 1910).
Apollinaire, avant Cocteau, incarne le grand ami des artistes, leur porte-parole et le défenseur acharné du cubisme. En 1913, la revue Le Mercure de France publie son long poème « Alcools », sans ponctuation, des travaux débutés en 1898.
En 1911, il est accusé par erreur d’avoir volé la Joconde !!! Grand amateur d’Art, fréquentant le milieu interlope, il faut croire qu’il est repéré dans un Paris bourgeois et conventionnel. Accusé, il fera une semaine à la prison de La Santé, puis sera sauvé par l’intervention de tous ses amis.
Poète, critique, historien, conteur…
Cultivé, sentimental, facétieux, pourvu d’une imagination sans limite et talent à l’avenant, Guillaume Apollinaire va laisser deux grands romans d’une telle fantaisie et d’une telle violence pornographique qu’ils laissent les lecteurs sans voix (Les onze mille verges et Les exploits d’un jeune Don Juan) Et aussi Le petit trou pas cher qui a disparu. C’est l’Apollinaire underground.
En plus de son originalité fiévreuse, de son arrogance de critique, de ses intuitions artistiques, il produit beaucoup : des contes (Le poète assassiné, Le Corps et l’Esprit, La Femme assise), des critiques (Les Peintres cubistes. Méditations esthétiques, L’Antitradition futuriste), de l’histoire (La fin de Babylone)…Et des poèmes simples et étranges.
Ayant été naturalisé français, nationaliste et patriote, il part pour la guerre de 1914, d’où il revient blessé, puis trépané… La Belle Époque est finie, mais il a survécu à la « drôle de guerre »… Après la guerre, il finit par se mettre en ménage, et publie enfin ses poèmes-dessins « Calligrammes », poèmes de la paix et de la guerre. C’est finalement la grippe espagnole qui le tue en 1918 (comme 25 millions de personnes en Europe…) Une mort à l’image de sa vie : un peu folle, inattendue, surréaliste.
Le livre de son amie Louise Faure Favier, qui ressort chez Grasset sous forme de souvenirs, raconte sa vie de 1900 à sa mort en 1918, sous son aspect le plus serein : belle époque et bonne vie de bohème (ou d’enfant capricieux exigeant et irascible)… Amis et fiancées, repas et soirées littéraires d’avant-garde, au milieu d’un Paris rétro et provincial.
Mais la face cachée de cet homme unique et à part, critiqué ou admiré, reste un abîme de secrets, de bizarreries, qu’il nous faut imaginer ou reconstruire avec l’évolution de ses textes. Je doute même qu’un esprit aussi riche et varié puisse encore être compris aujourd’hui…
Souvenirs sur Apollinaire. Par Louise Faure-Favier. Éditions Grasset. Collection les Cahiers Rouges. 180 pages. 9 euros.
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