La chronique de Jean Rouzaud.
Ivan Illich (1926-2002) fut un penseur de l’écologie politique et un grand critique de la société industrielle, pionnier de la décroissance, inspirateur, avec Jaques Ellul, de l’après-développement…
De la Croatie à New York
D’origine croate (yougoslave à l’époque), sa famille fuit en 1932 la montée du Fascisme, et rejoint Vienne. En 1942, il fuit le Nazisme, cette fois, à Florence, et fera un peu de résistance en Italie. Après la Guerre, il choisit la prêtrise.
En 1951, il rejoint une paroisse portoricaine à New York, afin d’aider cette communauté, qui subit alors un racisme violent et lui rappelle les premiers Chrétiens martyrs.
En 1956, il est à Porto Rico, où il crée un centre destiné à former les prêtres sur la culture latino-américaine. Premiers problèmes avec la hiérarchie de l’Église à propos des préservatifs qu’il défend ! Départ.
En 1961, il est à Cuernavaca, au Mexique pour créer un centre interculturel… jusqu’en 1976. Ensuite il rentrera en Europe, convaincu que le monde a perverti le message d’amour de l’Église catholique, en en faisant une école et des institutions aliénantes et rétrogrades.
Le résumé de son succès dans les années 70 repose sur ses idées révolutionnaires : l’école nuit à l’éducation, la médecine nuit à la santé et le progrès technique est contre-productif. Exemple : la voiture nuit aux transports, bref, le monde fait fausse route.
Star de la contre-culture
Il tombe en pleine contestation post 68, et devient une star de la contre-culture (comme Castoriadis, Michel Foucault, Claude Lefort… et tous les autres ténors de la déconstruction des pouvoirs), qui apprécie sa radicalité et ses concepts novateurs.
Il se met à publier ses idées pour changer le monde : libérer l’avenir, un monde sans école, le chômage créateur, le travail fantôme… Ses idées passionnent la jeunesse contestataire qui voit en lui un prophète pour échapper au monde technique aliénant.
Avec Jacques Ellul et quelques autres, il a compris dès les années 50 (!) et dénonce, alors, ce que l’on entend partout aujourd’hui : tyrannie des experts, complication et confiscation des pouvoirs, perte du sens…
Il aura fallu plus de 70 ans aux pouvoirs successifs pour commencer à accepter d’entrevoir les dangers et les erreurs grossières d’une société égoïste, consommatrice et destructrice…
Voilà pourquoi on peut encore réfléchir avec Ivan Illich sur le sacro-saint « progrès », même s’il fut -avec d’autres précurseurs – emporté par les utopies seventies, et ignoré par la mauvaise foi des dirigeants successifs, tous embarqués dans la course au gaspillage !
Une philosophie de sobriété et de convivialité qui ne passe toujours pas.
Ivan Illich pour une ascèse volontaire et conviviale, par Thierry Paquot, Éditions du Passager Clandestin, Collection : les précurseurs de la décroissance. 110 pages. 8 euros. Ce tout petit livre est un historique complet de l’œuvre et des idées d’Illich. Un résumé utile pour comprendre les enjeux du monde…
Visuel en Une (c) Getty Images / Bernard Diederich